L'éthique de la parole Flashcards

1
Q

Le droit de mentir, Benjamin Constant

A

L’éthique de la parole ne semble pas pouvoir obéir à un principe trop rigoureux. Si le mensonge est en théorie condamnable, l’exclure totalement n’apparaît pas souhaitable dans la pratique, car la vérité peut nuire très fortement à l’intérêt du locuteur. Celui-ci devrait pas conséquent prendre en considération les circonstances de l’énonciation et les effets potentiels de sa parole, plutôt que de se sentir moralement tenu par un devoir de dire la vérité. Benjamin Constant considère en effet qu’un tel devoir est tout simplement impossible en pratique (Le droit de mentir). S’opposant à Kant, qui voit la vérité comme un devoir absolu dans la mesure où elle fonde tous les devoirs d’un contrat et que la moindre exception la rendait chancelante (D’un prétendu droit de mentir par humanité), le philosophe français objecte qu’une telle morale détruirait la société. Elle trouve ses limites dans nos autres devoirs : dire la vérité ne constitue une obligation qu’envers ceux qui ont droit à la vérité. « L’idée de devoir, écrit-il, est inséparable de celle de droits : un devoir et ce qui, dans un être, correspond aux droits d’un autre. Là où il n’a pas de droits, il n’y a pas de devoirs. ». Ainsi, nul homme n’a droit à une vérité qui nuirait à autrui. L’éthique de la parole vraie n’est pas applicable que sous conditions.

How well did you know this?
1
Not at all
2
3
4
5
Perfectly
2
Q

L’art de se taire, principalement en matière de religion, Abbé Dinouart

A

Il n’apparaît pas toujours judicieux de recourir la parole. Le silence semble en effet parfois plus adapté, non pas comme un refus de toute parole, mais dans l’attente de circonstances plus appropriées. Il est tout particulièrement préférable de taire certaines vérités susceptibles de heurter son interlocuteur ou son public, affirme l’Abbé Dinouart dans L’art de se taire, principalement en matière de religion. À une époque où règne le persiflage, où les mots d’esprit font et défont les réputations dans les cours et les salons, le silence n’est pas une précaution excessive. Il faut ainsi prendre garde, prévient le prédicateur, de ne pas succomber à un trop grand désir de parler ou d’écrire, à une inclination trop forte pour la « confidence ». Il prône en remède la prudencia, attitude de réserve et de décence où le silence est d’or : « Jamais l’homme ne se possède plus que dans le silence ». L’enjeu n’est donc pas tant de se protéger soi-même que de protéger la sincérité authentique, l’ouverture silencieuse à autrui, et peut-être aussi la valeur même des mots voués à se déprécier. Pour le fervent adversaire des Lumières qu’était Dinouart, cette propension inéluctable de la parole à la dégradation condamne plus généralement le discours scientifique : chercher à pénétrer les mystères de Dieu, par nature impénétrables, est peine perdue. L’homme doit dès lors apprendre l’humilité avec l’art de se taire, plutôt que de se perdre en vaines paroles.

How well did you know this?
1
Not at all
2
3
4
5
Perfectly
3
Q

Confucius et la morale chinoise, Victor Cherbuliez

A

L’éthique de la parole peut sembler être affaire de circonstances. Ainsi, l’exigence de vérité dépendrait du temps, du lieu, du sujet évoqué, de la finalité du discours, ou encore du statut du locuteur. Confucius estime par exemple que le commerce constitue une circonstance particulière qui légitime le mensonge, quand bine même celui-ci doit être reprouvé d’un point de vue général. En effet, argumente le sage chinois, le commerçant est contraint de mentir pour vendre, sans quoi, il ne pourrait gagner sa vie. Sa parole lui permet de parer son produit ou son service de toutes les vertus, de présenter avec emphase ses qualités tout en dissimulant ses défauts, de promettre au consommateur plus qu’il n’en peut tirer – en clair, d’élaborer un discours comparable à ceux du marketing et de la publicité modernes. Pour Victor Cherbuliez (Confucius et la morale chinoise, Revue des Deux Mondes), cette conception s’intègre parfaitement dans la morale confucéenne chinoise, très pratique et pragmatique. « Ce moraliste très utilitaire, écrit-il à propos de Confucius, avait peu de goût pour les dogmes, pour les subtilités de la théologie, pour les spéculations mystiques ». Il valorisait au contraire l’usage, dont un âge millénaire faisait une caution plus que suffisante. Il en découlait une certaine indulgence pour les gens en place, les juges prévaricateurs, ou encore les mandarins concussionnaires qui mentent de toute éternité. Les circonstances peuvent donc infléchir l’éthique de la parole.

How well did you know this?
1
Not at all
2
3
4
5
Perfectly
4
Q

De la liberté, Stuart Mill

A

▪ La liberté de parole peut apparaître comme une nécessité

▪ La liberté d’opinion et de discussion semble contribuer au bien-être des sociétés humaine par un recul l’oppression + émergence du progrès intellectuel

▪ John Stuart Mill : la liberté d’opinion est une condition condition de possibilité de la vérité

▪ 3 types d’attitudes garantissent la vérité et évitent sa disparition :
∙ Combattre la censure : supprimer la liberté d’opinion empêcherait que certaines opinions partiellement, voire totalement justes, soient exprimées

∙ Se méfier de l’autorité intellectuelle : nul n’est infaillible, pas même l’opinion collective (à laquelle l’homme du commun a tendance à s’abandonne). Le vrai ne dépend ni du locuteur ni du nombre

∙ Favoriser la diversité des opinions : la recherche de la vérité présuppose un équilibre

▪ Conclusion de Mill : la grandeur intellectuelle d’un peuple dépend de la liberté de discussion tolérée

How well did you know this?
1
Not at all
2
3
4
5
Perfectly
5
Q

Traité sur la tolérance, Voltaire

A

La parole devrait pourvoir jouir de la tolérance des interlocuteurs. Ceux-ci ont pour devoir de respecter une certaine liberté de contradiction, c’est-à-dire de laisser s’exprimer toutes les opinions, tout particulièrement celles qu’ils ne partagent pas, qui les irritent, voire les heurtent. Ainsi, cette attitude bénéficierait à l’expression des convictions religieuses, trop souvent la cible d’une répression extrêmement violente. Voltaire affirme qu’une tolérance devrait être naturelle pour le genre humain (Traité sur la tolérance). Pour défendre Jean Calas, bourgeois protestant accusé à tort d’avoir assassiné avec sa famille son fils qui aurait voulu se convertir au catholicisme, il met par exemple en lumière le paradoxe consistant à faire du message originel de Jésus-Christ, fondé sur l’amour du prochain su support de l’intolérance. « Tu ne nous as point donnée du cœur pour nous haïr, et des mains pour nous égorger… », écrit-il dans la « Prière à Dieu ». La parole religieuse plaide donc en réalité pour la tolérance religieuse. Le philosophe admettait toutefois peut-être craintif de la censure de son époque, des limites à la liberté d’expression. Par exemple, manifester son désaccord dans l’espace public peut mériter réprimande, car les divergences ne sont permises et bienvenues que tant qu’elle se confinent à l’espace privé et qu’elles ne risquent pas de provoquer trop de conséquences. C’est donc sans être absolue que la tolérance devrait davantage bénéficier à la parole.

How well did you know this?
1
Not at all
2
3
4
5
Perfectly
6
Q

Les essais, Montaigne

A

La parole peut apparaître particulièrement vaine. Dans sa version autoréférentielle qu’est la rhétorique, elle donne l’impression d’être creuse, et au point de vue historique, symptomatique des crises politiques, lorsque la Cité est contaminée par la défiance. L’orateur qui prétend ainsi guérir le réel à grand renfort d’éloquence tend plutôt, avec son rapport libre à la vérité, à envenimer les choses. C’est dans cette optique que Montaigne, compare, au chapitre 51 du livre I de ses Essais, la rhétorique à la malhabileté d’un cordonnier : « Un rhétoricien du temps passé disait que son métier était de choses petites les faire paraître et trouver grandes. C’est un cordonnier qui sait faire de grands souliers à un petit pied ». Le moraliste n’est pas mois sévère avec la parole au point de vue intellectuel : il moque la figure du grammairien – le linguiste moderne – auquel il reproche de se délecter vainement de termes techniques pour désigner des mécanismes dont la banalité ne justifie pas et exclut même plutôt de recourir à une telle complexité de … = « Oyez dire métonymie, métaphore, allégorie et autres tels nom de grammaire, semble-t-il pas qu’on signifie quelque forme de langage rare et pellegrin ? Ce sont des titres qui touchent le babil de votre chambrière. ». La parole peut donc sembler vaine tant au plan politique que dans sa prétention à s’interpréter elle-même.

How well did you know this?
1
Not at all
2
3
4
5
Perfectly
7
Q

Ridicule (film), Patrice Leconte

A

La parole peut être considérée comme une arme. Maniée avec habilité, elle est en effet capable de blesser profondément son destinataire. Le langage regorge de subtilités qui sont pour la méchanceté, le cynisme, l’envie ou la perversité, autant de chemins, implicites et raffinées, pour atteindre l’interlocuteur. Patrice Leconte met en scène cette dimension dans Ridicule, où il dépeint la cour de Versailles comme un monde impitoyable, rongé par la flatterie, le paraître, et l’hypocrisie. Plus que l’argent, ce microcosme du XVIIIème siècle valorise tout particulièrement le courtisan qui « a de l’esprit », c’est-à-dire la parole virtuose. Des aristocrates décadents y font un usage intensif du mot d’esprit à travers le persiflage, l’acte de ridiculiser son interlocuteur pour briller. Ponceludon, le héros, reçoit ainsi du marquis de Bellegrade le conseil suivant : « Les sujets graves apportent du déplaisir et sont à bannir de vos propos. Formulez des saillies spirituelles, fines, promptes et malveillantes, alors votre pays guérira de ses plaies. ». Dès lors, le réalisateur fait une analogie entre le duel des armes et le duel des mots. Grâce à un montage très rythmé, les répliques et les plans sont courts tout au long du film, rapides comme les échanges de balles. En comparaison, la seule scène de duel d’armes est empreinte de lenteur avec un ralenti et une musique calme. C’est donc la parole qui apparaît la plus dangeureuse.

How well did you know this?
1
Not at all
2
3
4
5
Perfectly