Libéralisme et démocratie : une histoire conflictuelle Flashcards
Quelles critiques sont adressées à la démocratie londonienne?
Le « modèle » parlementaire britannique fait l’objet de vives contestations depuis la fin du xviiie siècle, et plus encore après 1815 [voir chapitre 4]. Les radicaux dénoncent la captation du pouvoir par une oligarchie de l’argent et de la terre, accusée d’écraser le peuple d’impôts et d’alimenter une dette dont seuls les rentiers tirent profit. Le journaliste radical William Cobbett reproche à la « Vieille Corruption » d’exercer sa mainmise sur le système politique. Une première ouverture est néanmoins esquissée en 1832, avec l’adoption d’une nouvelle loi électorale (le Reform Bill), qui fait suite au retour des whigs au pouvoir en 1830. Face aux critiques récurrentes sur la sous-représentation des villes et la surreprésentation des zones rurales ainsi que des « bourgs pourris » (des circonscriptions qui envoyaient des députés à Londres alors qu’elles étaient très peu peuplées), le Parlement consent à un élargissement des contours du corps électoral, qui passe de 400 000 à 650 000 personnes, à une époque où l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Écosse comptent 16 milllions d’habitants. Des villes comme Birmingham, Manchester ou Leeds obtiennent une meilleure représentation. Cette réforme, qui délimite un électorat bien plus large que la situation existant au même moment en France (où l’on compte seulement 200 000 électeurs pour 30 millions d’habitants) n’est cependant pas à la hauteur des revendications qui s’expriment parmi les classes moyennes et populaires.
Qu’est-ce que le chartisme ?
Le « modèle » parlementaire britannique fait l’objet de vives contestations depuis la fin du xviiie siècle, et plus encore après 1815 [voir chapitre 4]. Les radicaux dénoncent la captation du pouvoir par une oligarchie de l’argent et de la terre, accusée d’écraser le peuple d’impôts et d’alimenter une dette dont seuls les rentiers tirent profit. Le journaliste radical William Cobbett reproche à la « Vieille Corruption » d’exercer sa mainmise sur le système politique. Une première ouverture est néanmoins esquissée en 1832, avec l’adoption d’une nouvelle loi électorale (le Reform Bill), qui fait suite au retour des whigs au pouvoir en 1830. Face aux critiques récurrentes sur la sous-représentation des villes et la surreprésentation des zones rurales ainsi que des « bourgs pourris » (des circonscriptions qui envoyaient des députés à Londres alors qu’elles étaient très peu peuplées), le Parlement consent à un élargissement des contours du corps électoral, qui passe de 400 000 à 650 000 personnes, à une époque où l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Écosse comptent 16 milllions d’habitants. Des villes comme Birmingham, Manchester ou Leeds obtiennent une meilleure représentation. Cette réforme, qui délimite un électorat bien plus large que la situation existant au même moment en France (où l’on compte seulement 200 000 électeurs pour 30 millions d’habitants) n’est cependant pas à la hauteur des revendications qui s’expriment parmi les classes moyennes et populaires.
Comment le pouvoir politique a-t-il répondu au chartisme ?
Le chartisme lance un défi majeur aux élites britanniques, confrontées à partir de 1845 à la crise de la famine irlandaise. Malgré son ampleur, la mobilisation s’essouffle après 1848, sans avoir obtenu gain de cause. L’une des explications tient au fait que les élites gouvernementales ont répondu à ce mouvement sur le terrain économique, plutôt qu’en concédant des réformes politiques. Pour le comprendre, il faut revenir sur la campagne que des industriels et des hommes d’affaires de Manchester, tels que Richard Cobden et le quaker John Bright, lancent en 1838, en parallèle du chartisme, pour demander l’abolition des droits pesant sur l’importation de céréales (Corn Laws). Ces mesures protectionnistes, renforcées en 1815 afin, notamment, de renflouer les caisses de l’État, vidées par les guerres napoléoniennes, sont en effet de plus en plus dénoncées par les milieux industriels. Ces derniers souhaitent pouvoir importer des matières premières (comme le coton produit dans le sud des États-Unis) sans acquitter de droits, puis exporter tout aussi librement dans le monde entier les produits transformés dans leurs usines. Les partisans du libre-échange ne bénéficient certes pas d’un soutien aussi massif que le chartisme, mais ils insistent très habilement sur le fait qu’un allègement des droits de douane améliorerait le pouvoir d’achat des consommateurs, en leur offrant l’accès à une alimentation à meilleur marché (la cheap food). Après l’adoption en 1842 d’un impôt sur le revenu (income tax) pour rééquilibrer le rapport entre taxes sur la consommation et taxes sur les revenus et la propriété, c’est finalement un Premier ministre tory, Robert Peel, qui prend à rebours son propre parti et abroge en 1846 les Corn Laws. Trois ans plus tard, les Navigation Acts, un ensemble de lois qui limitaient le commerce international britannique depuis le xviie siècle, connaissent le même sort. Du côté des élites, la défense des droits des consommateurs est analysée comme une alternative à l’élargissement de la citoyenneté électorale et politique. Néanmoins, comme l’a montré l’historien Frank Trentmann, ces mesures de libre-échange sont également présentées comme comportant une dimension civique et elles réussissent de ce fait pendant les années suivantes à s’inscrire au cœur de la culture politique victorienne [Trentmann, 2008]. Elles constituent également une politique que le Royaume-Uni étend à l’échelle internationale, soit par la force, comme lors des guerres de l’opium avec la Chine [voir chapitre 11], soit par la signature de traités, comme avec la France en 1860 [voir chapitre 8].
Est-ce que la monarchie de Juillet satisfait les aspirations populaires?
La monarchie de Juillet est née, en juillet 1830, d’une révolution populaire. Se réclamant de la souveraineté nationale, le roi Louis-Philippe s’entoure de personnalités libérales. Toutefois, malgré des mesures d’ouverture, le régime se coupe rapidement des milieux ouvriers et républicains qui avaient participé aux Trois Glorieuses. Les réformes adoptées en 1830-1832 paraissent bien timides aux défenseurs du principe de la souveraineté populaire. Le cens est certes abaissé (de 300 à 200 francs pour être électeur, de 1 000 à 500 francs pour être éligible), mais le corps électoral reste très étroit (entre 200 000 et 250 000 électeurs pendant la période, contre 100 000 sous la Restauration, pour une population d’un peu plus de 30 millions d’habitants en 1830). Des lois significatives sont adoptées en matière de réforme du Code pénal, d’assouplissement du régime de la presse et d’élection des conseils municipaux (1831). Mais très tôt s’impose le sentiment que la révolution de 1830 a été « confisquée » par les milieux orléanistes, au détriment des forces populaires qui avaient osé renverser l’ordre établi sur les barricades glorifiées par Eugène Delacroix dans La Liberté guidant le peuple. En 1831, Casimir Perier, figure du parti de la « résistance », prend la tête du gouvernement pour mettre fin aux troubles qui ont suivi le moment révolutionnaire.
Qu’est-ce que la révolte des canuts?
L’agitation sociale ne faiblit cependant pas. En Angleterre, à l’été 1830, des émeutes éclatent dans les campagnes du sud et de l’est du pays, lors desquelles des travailleurs détruisent des batteuses utilisées dans les exploitations agricoles. Comme en 1811-1812 avec le luddisme, c’est une figure légendaire, le Captain Swing, qui donne sa cohérence et son nom à ces agissements dispersés [Hobsbawm et Rudé, 1969]. En novembre 1831, les ouvrières et les ouvriers de la soie de Lyon (apprentis, compagnons, chefs d’atelier), surnommés les « canuts », se soulèvent. Regroupés sur le modèle de la manufacture dispersée, dans de petits ateliers situés dans le quartier Saint-Georges ou le faubourg de la Croix-Rousse et dont l’ensemble constitue ce qu’ils appellent « la Fabrique », ils sont plus de 30 000 à travailler la matière première qu’environ 400 marchands-fabricants leur fournissent pour ensuite la racheter et la revendre transformée. Très politisés et soucieux de défendre la spécificité de leur organisation économique et sociale, les chefs d’atelier se regroupent en 1828 dans une société secrète appelée Le Devoir mutuel. Les liens fraternels qui s’y nouent sont redoublés par ceux qui existent entre les membres des Volontaires du Rhône, une organisation paramilitaire constituée en février 1831 pour aller combattre aux côtés des carbonari afin d’obtenir le rattachement de la Savoie à la France. Quelques mois plus tard, à l’automne 1831, alors que le secteur de la soie retrouve son dynamisme après une période difficile pendant les années 1820, cette forte cohésion permet aux canuts de demander qu’un prix d’achat minimum des pièces qu’ils fabriquent (le prix de façon) leur soit garanti. Si les autorités municipales leur donnent initialement gain de cause, les canuts sont toutefois rapidement confrontés au refus d’une portion significative des marchands-fabricants d’appliquer le nouveau tarif garanti. Pire, le ministère du Commerce invalide la décision des maires de la région lyonnaise et déclare le tarif garanti illégal. En signe de protestation, les ouvriers manifestent à plusieurs reprises avant que la situation ne tourne à l’insurrection le 21 novembre. Débordant l’armée au prix d’environ 600 morts (dont une centaine de soldats), les canuts parviennent pendant plusieurs jours à prendre le contrôle de Lyon et multiplient les propositions. Ils expriment leurs revendications dans leur journal, L’Écho de la Fabrique, l’un des grands journaux ouvriers de l’époque. On y trouve de nombreux articles sur l’émancipation ouvrière, l’importance de la coopération et de l’association, autant de textes qui témoignent de l’influence des thèses saint-simoniennes, fouriéristes ou mutualistes mais aussi de leur constante réinterprétation afin de les rendre compatibles avec le contexte de la Fabrique. Les insurgés canuts adoptent pour devise la formule « Vivre en travaillant, mourir en combattant », avant que les chefs d’atelier, dont les revendications diffèrent de plus en plus de celles des compagnons et compagnonnes, ne rendent plus ou moins pacifiquement la ville aux autorités. Malgré sa brièveté, cette insurrection de 1831 suscite, tout comme la suivante de 1834, les plus vives réprobations de la part des élites libérales et conservatrices, qui s’effraient de la constitution d’une parole ouvrière autonome et d’un risque de sédition. Le libéral Saint-Marc Girardin ne recule devant aucun stéréotype pour dénoncer une atteinte à la civilisation:
La sédition de Lyon a révélé un grave secret, celui de la lutte intestine qui a lieu dans la société entre la classe qui possède et celle qui ne possède pas. Notre société commerciale et industrielle a sa plaie comme toutes les autres sociétés ; cette plaie, ce sont ses ouvriers. [Frobert, 2009]
Comment les Républicains manifestent-ils leur désaccord avec Louis-Philippe ?
La contestation populaire du nouveau régime reste par ailleurs vive dans les milieux républicains, qui se sentent floués et reprochent aux nouvelles autorités de ne pas avoir apporté leur soutien aux insurgés polonais qui, en novembre 1830, quelques mois après la chute de Charles X, s’étaient soulevés contre l’occupation russe [voir chapitre 4]. La crise sociale et sanitaire provoquée par l’épidémie de choléra, en 1832, entretient en outre un climat insurrectionnel. Les 5 et 6 juin 1832, près de 200 barricades sont érigées dans l’est de Paris, à l’occasion des funérailles du général Lamarque. Artisans et ouvriers se soulèvent contre le régime orléaniste, au cours de deux journées d’affrontements. 300 personnes trouvent la mort lors de cet épisode, dont 150 émeutiers. La répression s’abat sur les républicains et les catégories populaires. En avril 1834, la troupe tue des innocents lors du « massacre de la rue Transnonain », immortalisé par un dessin du caricaturiste Honoré Daumier. Le temps paraît loin des promesses faites par le duc d’Orléans, qui annonçait vouloir rompre avec l’autoritarisme de la Restauration. L’activisme des sociétés républicaines, telles la Société des amis du peuple (dissoute en 1832) ou la Société des droits de l’homme (1831-1834), tout comme la seconde insurrection des canuts en 1834 motivent l’adoption d’un cadre répressif en matière de réunion et d’expression. Les lois adoptées en 1835, qui bannissent l’usage du terme « républicain » de l’espace public, paraissent à mille lieux des engagements libéraux de l’été 1830. Le temps des sociétés secrètes et des conspirations n’est pas terminé. L’insurgé Auguste Blanqui crée la Société des saisons et tente avec Armand Barbès, en mai 1839, une nouvelle insurrection. De leur côté, les bonapartistes misent sur Louis-Napoléon Bonaparte, qui essaie à deux reprises de soulever l’armée, en 1836 à Strasbourg et en 1840 à Boulogne-sur-Mer.
Pourquoi la monarchie est encore un régime réservé à une petite élite?
La monarchie de Juillet est à la fois l’apogée du libéralisme politique et le révélateur de ses contradictions profondes. Favorables à la liberté de la presse, à la défense des droits individuels et à l’État de droit, les libéraux au pouvoir se raidissent face aux contestations populaires, dont ils avaient pourtant eu besoin pour accéder au pouvoir. Les élites du régime théorisent le double mouvement émancipateur et conservateur du libéralisme, qui entend protéger les droits de l’individu tout en réservant l’exercice du pouvoir à la minorité des plus fortunés et des plus éduqués. C’est le règne des notables, enracinés localement, et des « capacités », qui s’élèvent par le diplôme et l’argent. François Guizot, historien et homme politique libéral, fondateur en 1827 de la société « Aide-toi, le ciel t’aidera », et figure de premier plan de la monarchie de Juillet jusqu’en 1848, justifie la supériorité de ce gouvernement de la raison contre les passions [Rosanvallon, 1985]. Le vote n’est pas considéré comme un droit, mais comme une fonction dévolue à ceux qui, par l’héritage, le travail ou l’éducation, sont parvenus à disposer d’une propriété personnelle. Le cens consacre une conception du citoyen-propriétaire, dans laquelle c’est la réussite économique qui ouvre droit à l’exercice des charges politiques. Nul besoin, par conséquent, d’élargir les règles légales du droit de suffrage : il revient à chacun, selon les préceptes de la responsabilité individuelle, de s’élever par l’éducation, le travail et l’épargne. Guizot fait ainsi adopter la loi de 1833 qui prévoit que chaque commune ouvre une école élémentaire, et chaque département une école normale pour former les professeurs. La mobilité sociale n’est pas absente de ce modèle libéral, mais elle dépend des efforts de chacun plutôt que d’une politique active de redistribution des chances et des ressources. En pratique, l’extrême concentration de la propriété maintient en dehors du droit de vote l’immense majorité de la population. Le régime s’ouvre aux élites de la banque, de la finance et de l’industrie, mais reste sourd aux revendications des classes populaires et moyennes.
Comment émerge les critiques du régimes par les dessinateurs ?
Cet aspect élitiste et bourgeois de la monarchie de Juillet est tourné en dérision par les caricaturistes Honoré Daumier et Charles Philippon. La relative liberté de la presse permet à ces dessinateurs, maintes fois poursuivis cependant, de croquer les bassesses et les hypocrisies du gouvernement parlementaire, où le pouvoir est détenu par une minorité de notables repus et ventripotents. Le roi lui-même est moqué sous les traits d’une poire, passée à la postérité.
Comment s’inscrit dans la monarchie dans le siècle?
L’arme de la satire et de la critique sociale ne suffit pas à faire infléchir le régime, qui essaie par ailleurs d’inscrire sa légitimité dans une histoire longue de la France, couvrant aussi bien la période de l’Ancien Régime que l’époque napoléonienne (avec la cérémonie du retour des cendres organisée en 1840 à l’initiative d’Adolphe Thiers). Cette volonté d’ancrer durablement le régime bute cependant sur la vigueur des insatisfactions et l’accroissement des mécontentements. Pendant les années 1840, des libéraux progressistes (Charles de Rémusat) rejoignent les républicains (Alexandre Ledru-Rollin, François Arago) dans leurs appels à ouvrir le droit de suffrage. Guizot, homme fort du régime, refuse toute concession. Dans un contexte de liberté très contrainte, les opposants recourent à des procédés détournés pour s’assembler et contester le régime. Les « banquets » républicains se multiplient en 1847-1848, profitant de l’ambiguïté de cette pratique rituelle, qui est tolérée par les pouvoirs publics. Ouverts par des listes de souscription, les banquets permettent aux opposants de se réunir, de porter des toasts et de s’aventurer sur des terrains politiques. C’est dans le creuset de cette forme originale de mobilisation [Robert, 2010] que prend naissance le mouvement en faveur d’un abaissement du cens, auquel les républicains se rallient, à défaut de réclamer la proclamation immédiate du suffrage universel. En dépit de toutes les mesures de rétorsion appliquées pendant les années 1830 et du discours de légitimation produit par le libéralisme capacitaire, les revendications démocratiques entrent en conflit avec les principes libéraux.