Cours 6 Flashcards
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Indiquer et expliquer les problèmes d’accès aux institutions dans la recherche
qualitative.
Aujourd’hui, je souhaite aborder une question cruciale en recherche qualitative : les problèmes d’accès aux institutions. Il s’agit d’une étape décisive dans toute démarche de terrain, mais aussi d’un moment souvent invisible dans les résultats finaux. Et pourtant, sans accès, pas de recherche possible.
La recherche qualitative suppose en effet une immersion dans un système social existant — une institution, une organisation, un lieu. Cet accès peut se heurter à neuf types d’obstacles majeurs, que je vais vous présenter.
Premier obstacle : La recherche comme intervention.
Le simple fait de mener une recherche est une intrusion dans un système social. Le regard du chercheur peut être perçu comme un jugement ou une menace pour l’équilibre institutionnel. Il faut alors adopter une posture bienveillante, discrète et montrer que l’on comprend les contraintes du terrain.
Deuxième obstacle : La recherche comme perturbation.
Les institutions peuvent craindre que la présence d’un chercheur perturbe leurs routines, ralentisse leurs services ou modifie le comportement des acteurs observés. Il faut donc rassurer sur la souplesse et la discrétion de la démarche.
Troisième obstacle : L’opacité mutuelle.
Souvent, le chercheur ne comprend pas entièrement les règles internes de l’institution, et inversement, l’institution ne comprend pas bien les intentions du chercheur. Cela peut générer méfiance et incompréhension. Créer un espace de dialogue dès le départ est essentiel pour instaurer la confiance.
Quatrième obstacle : Trop d’informations tue l’information.
Donner trop de détails sur le protocole ou les hypothèses de recherche peut renforcer la résistance institutionnelle. Le risque est que l’institution se sente évaluée ou critiquée. Il est plus judicieux d’adopter un discours simple, mettant l’accent sur les garanties méthodologiques et éthiques.
Cinquième obstacle : Accord pragmatique plutôt que compréhension totale.
L’objectif n’est pas une compréhension mutuelle parfaite, mais un accord fonctionnel. Il faut viser des compromis sur les aspects pratiques (dates, durée, confidentialité), plutôt que convaincre l’autre partie par des justifications théoriques.
Sixième obstacle : La protection des données.
Les règles relatives à la confidentialité, notamment le RGPD, peuvent entraver l’accès aux documents, aux lieux ou aux personnes. Un protocole éthique rigoureux, une anonymisation systématique des données et des garanties de non-divulgation sont alors indispensables.
Septième obstacle : Décalage entre attentes et réalité.
Parfois, une fois la recherche lancée, l’institution réalise qu’elle ne peut pas collaborer comme prévu : manque de personnel, révélations indésirables, tensions internes. Le chercheur doit rester flexible et réactif pour adapter la collaboration.
Huitième obstacle : Absence d’intérêt direct pour l’institution.
Si la recherche ne procure aucun bénéfice clair à l’institution, sa motivation à coopérer peut s’éroder. Sans promettre l’impossible, le chercheur doit valoriser les apports indirects de la recherche : compréhension, visibilité, contribution à la connaissance.
Neuvième et dernier obstacle : L’inertie passive.
Il arrive que l’institution ne s’oppose pas frontalement, mais complique la tâche : absence de réponse, procédures longues, demandes administratives répétées. Dans ce cas, la diplomatie, les relances courtoises, le soutien de collègues ou de personnes-relais deviennent des leviers précieux.
En résumé, l’accès aux institutions en recherche qualitative est un processus stratégique, relationnel et politique. Il exige du tact, de l’adaptabilité et une forte conscience éthique. Savoir obtenir et gérer cet accès, c’est déjà faire preuve de compétence scientifique.
Indiquer et expliquer les problèmes d’accès aux individus dans la recherche qualitative.
Après avoir examiné les difficultés d’accès aux institutions, intéressons-nous aujourd’hui aux problèmes d’accès aux individus dans la recherche qualitative. Car si les institutions sont les portes d’entrée du terrain, ce sont bien les individus qui en détiennent les clés les plus précieuses : leurs récits, leurs expériences, leurs perceptions.
Accéder à certains groupes sociaux peut représenter un défi méthodologique majeur. Cela est particulièrement vrai pour des populations dites “difficiles d’accès”, qui sont souvent vulnérables, marginalisées, ou engagées dans des pratiques illégales.
Quelques exemples typiques de ces groupes :
– Les personnes sans domicile fixe,
– Les travailleurs et travailleuses du sexe,
– Les usagers ou trafiquants de drogues,
– Les membres de groupes radicaux, criminels ou clandestins,
– Les hackers ou certains militants engagés dans des actions illégales.
Ces individus ont souvent de bonnes raisons de se méfier du chercheur : peur d’être stigmatisés, crainte des répercussions juridiques ou institutionnelles, lassitude face aux sollicitations extérieures. Il est donc fréquent qu’ils se montrent invisibles, méfiants, voire hostiles à toute démarche d’enquête.
Dès lors, comment surmonter ces obstacles ?
La clé réside dans une stratégie d’approche adaptée et progressive, qui repose sur trois leviers :
1. L’intermédiaire humain : le chercheur peut passer par un médiateur, un travailleur social, un ex-membre du groupe, ou une personne de confiance déjà en lien avec le milieu. Ce “passeur de terrain” facilite la première prise de contact.
2. L’immersion : dans certains cas, le chercheur devra s’immerger dans le quotidien du groupe étudié, être présent, écouter, observer sans forcément commencer par poser des questions. Il s’agit de gagner la confiance par la présence.
3. L’auto-présentation ajustée : la manière dont le chercheur se présente est essentielle. Il ne s’agit pas de mentir, mais d’ajuster son langage, son attitude, et sa posture pour ne pas apparaître comme une menace ou comme une figure d’autorité extérieure.
Enfin, il faut rappeler que l’accès aux individus ne dépend pas seulement de stratégies techniques. Il repose aussi sur la perception sociale du chercheur. Selon le contexte, il peut être vu comme un étranger, un intrus, un allié, un journaliste, voire un espion. Cette perception évolue constamment et oblige le chercheur à rester attentif à sa posture, à son langage, à ses affiliations apparentes.
En somme, l’accès aux individus dans la recherche qualitative n’est jamais garanti. Il demande de la patience, de l’éthique, de l’écoute, et une grande capacité à s’adapter sans trahir la rigueur scientifique.
Définir l’entretien et ses éléments de base et complémentaires.
L’entretien est sans conteste l’une des méthodes fondamentales de la recherche qualitative. Mais qu’est-ce qu’un entretien au juste ? Et comment le définir rigoureusement dans le cadre d’une recherche en criminologie ?
Un entretien qualitatif, ce n’est pas une simple discussion. C’est une conversation orientée par un objectif de recherche. Il s’agit d’un dispositif structuré qui permet de recueillir des informations en profondeur sur une expérience vécue, une représentation, un processus social, ou un point de vue personnel.
L’entretien repose sur quatre éléments de base visibles :
1. L’intervieweur : c’est le chercheur ou l’étudiant formé à la conduite de l’entretien. Son rôle est d’écouter activement, de relancer avec pertinence et de garantir le respect du cadre éthique.
2. L’interviewé : c’est un individu choisi pour la pertinence de son expérience. Il détient des éléments cruciaux pour répondre à la question de recherche.
3. Un contact direct : l’entretien implique un échange en face à face, ou du moins une interaction synchrone, en visioconférence ou par téléphone. C’est une rencontre verbale directe.
4. Un objectif défini : l’entretien vise à produire des données en lien avec une question de recherche, tout en laissant une place à la spontanéité et à l’expressivité du sujet.
Mais au-delà de ces éléments visibles, l’entretien comprend aussi des éléments invisibles mais essentiels. Ces dimensions implicites influencent profondément la qualité et la signification des données recueillies. Il y en a principalement deux :
1. Une relation asymétrique : le chercheur contrôle le cadre de l’entretien, tandis que l’interviewé est invité à livrer des aspects intimes ou personnels de son vécu. Cette asymétrie doit être reconnue et gérée avec respect, bienveillance et éthique.
2. Le langage non verbal : gestes, silences, expressions du visage, posture corporelle — tout cela complète ou nuance les paroles. Un ton hésitant, un regard fuyant, un silence prolongé peuvent signifier autant qu’une phrase bien construite. Le chercheur doit être attentif à ces signaux, les noter et les interpréter avec prudence.
Enfin, deux autres dimensions complètent notre compréhension de l’entretien comme méthode :
1. La temporalité et le cadre : un entretien ne s’improvise pas. Il se déroule dans un temps donné, un lieu choisi, un cadre sécurisé. Le moment de l’entretien, son lieu, son ambiance influencent fortement ce qui va être dit — ou tu.
2. Le rôle du chercheur comme “acteur social” : sa posture, son langage, son attitude jouent un rôle dans l’entretien. Il n’est pas neutre. Il co-construit le sens avec l’interviewé, que ce soit consciemment ou non.
3. La finalité de production de sens : l’entretien qualitatif ne cherche pas à valider une hypothèse de manière fermée, mais à faire émerger du sens, à reconstruire une logique vécue, une trajectoire, une perception subjective.
Ainsi, l’entretien en recherche qualitative est un instrument de connaissance sensible, complexe et profondément humain. Il est à la fois outil, relation et situation. Et sa richesse repose sur sa capacité à faire parler non seulement des mots, mais aussi des silences, des gestes, des hésitations — bref, à faire parler l’humain dans toute sa complexité.
Lister et décrire les trois types d’entretiens
Lorsqu’on parle d’entretien en recherche qualitative, on ne parle pas d’un format unique. Il existe trois types d’entretiens, chacun correspondant à un degré de structuration différent, et à des objectifs spécifiques.
Comprendre ces trois formes est essentiel pour choisir la bonne méthode selon son terrain, son sujet, et ses interlocuteurs.
Premier type : l’entretien structuré, ou directif
C’est le plus encadré. L’intervieweur suit une liste de questions strictement définies, qu’il doit poser dans le même ordre et avec le même libellé à chaque participant.
Ce type d’entretien se rapproche d’un sondage, mais en face-à-face.
→ Exemple de question : « À quelle fréquence avez-vous été contrôlé par la police au cours des six derniers mois ? »
🔹 Avantages :
– Permet de comparer facilement les réponses,
– Recommandé pour des faits précis ou des sujets bien balisés,
– Adapté aux enquêtes standardisées ou aux grands échantillons.
🔹 Limites :
– Ne laisse pas de place à l’imprévu,
– Ne favorise pas l’émergence de nouveaux thèmes.
Deuxième type : l’entretien semi-structuré, ou semi-directif
C’est le format le plus utilisé en recherche qualitative.
L’intervieweur prépare une liste de thèmes ou de questions ouvertes, mais peut adapter l’ordre, reformuler, et explorer des pistes non prévues en fonction des réponses de l’interviewé.
→ Exemple : « Pouvez-vous me raconter comment s’est déroulée votre interaction avec les policiers ce jour-là ? »
🔹 Avantages :
– Combine rigueur et souplesse,
– Permet d’explorer des expériences subjectives,
– Favorise la richesse des discours tout en gardant un cap.
🔹 Usages :
– Trajectoires de vie, vécus de stigmatisation, expériences sensibles.
Troisième type : l’entretien non structuré, ou non directif
Ici, il n’y a pas de questions préétablies. Le chercheur propose simplement un thème général, puis se retire en grande partie, se contentant de relances ponctuelles.
→ Exemple : « J’aimerais simplement vous écouter parler de votre expérience avec la justice, à votre rythme. »
🔹 Avantages :
– Laisse émerger librement le point de vue du participant,
– Particulièrement adapté à des terrains inconnus ou sensibles.
🔹 Limites :
– Exige beaucoup d’expérience de la part du chercheur,
– Analyse plus difficile car les données sont très hétérogènes.
🔹 Usages :
– Études ethnographiques, récits de vie, explorations identitaires ou spirituelles.
En conclusion, le choix du type d’entretien dépend de plusieurs facteurs :
– L’objectif de recherche,
– Le niveau de connaissance du sujet,
– Le profil du public interrogé,
– Et l’expérience du chercheur.
Retenons que plus l’entretien est directif, plus il vise la comparaison ; plus il est libre, plus il cherche à révéler la singularité.
Décrire les aspects qu’il faut suivre dans la préparation et le déroulement de l’entretien.
L’entretien qualitatif est un exercice exigeant qui ne s’improvise pas. Pour qu’il produise des données riches, valides et éthiques, il faut soigner aussi bien sa préparation que son déroulement.
Je vais vous présenter les principaux aspects à suivre, en six grands points.
- Soigner l’environnement de l’entretien
Un bon entretien commence par un cadre propice à l’échange :
– Le lieu doit être calme, neutre, sans interruptions ni bruits parasites.
– La disposition des sièges doit éviter une posture trop frontale et hiérarchique.
– L’horaire choisi doit permettre à l’interviewé d’être disponible et détendu.
– Le matériel technique (enregistreur, caméra) doit être testé à l’avance.
🔹 Exemple : avec une victime de violence, l’entretien doit se dérouler dans un lieu sécurisant, respectueux et apaisant. - Adopter une posture empathique
La qualité de l’échange humain est au cœur de l’entretien qualitatif.
L’intervieweur doit faire preuve d’empathie, c’est-à-dire de compréhension sans jugement.
Il écoute activement, sans interrompre, et manifeste un intérêt sincère pour l’expérience de l’interviewé.
🔹 Attention : l’empathie ne veut pas dire sympathie. Il ne s’agit pas de consoler, mais de créer un climat de confiance. - Briser la glace
Un entretien ne commence jamais de manière abrupte. Il faut détendre l’atmosphère et créer une relation avant d’entrer dans le vif du sujet :
– Adopter un ton chaleureux,
– Échanger quelques phrases informelles,
– Commencer par une question facile et non menaçante.
🔹 Exemple : “Avant de commencer, pouvez-vous me parler un peu de votre quotidien ici ?” - Expliquer le cadre de la recherche
Avant toute question, il est essentiel de clarifier le contexte pour que l’interviewé sache dans quoi il s’engage.
Il faut expliquer :
– Le but de la recherche,
– Pourquoi cette personne est interrogée,
– La durée approximative de l’entretien,
– Le respect de l’anonymat et de la confidentialité,
– Le droit de ne pas répondre à certaines questions.
🔹 Exemple d’introduction : “Merci d’avoir accepté de participer. Cet entretien est anonyme. Il n’y a pas de bonnes ou mauvaises réponses.” - Construire une progression des questions
Un bon entretien respecte une logique de progression psychologique. On avance du plus général au plus intime, du moins sensible au plus délicat, de la description à l’analyse.
Exemple de progression :- Racontez-moi votre premier jour en détention.
- Comment étaient vos relations avec les autres détenus ?
- Quels moments ont été les plus difficiles ?
- Avec le recul, que retenez-vous de cette expérience ?
Cette structure préserve le rythme et la sécurité émotionnelle de l’interviewé.
- Respecter une posture éthique
Enfin, l’intervieweur doit garantir le respect de trois grands principes :
– L’écoute active et bienveillante : ne pas couper, ne pas juger.
– La neutralité : éviter les formulations orientées ou les opinions personnelles.
– La confidentialité : garantir l’anonymisation des données et adapter les questions à la sensibilité du sujet.
🔹 Exemple : dans un entretien sur des faits violents, garder un ton factuel, sans dramatiser ni minimiser.
En conclusion, un entretien qualitatif réussi ne dépend pas seulement de la liste de questions, mais surtout de la qualité de la relation, la précision de la préparation et le respect éthique de la démarche. C’est un art de l’écoute guidée, au service de la compréhension de l’humain.
Définir la relance et les types de relance possibles
Dans la conduite d’un entretien qualitatif, une compétence clé du chercheur est l’art de la relance. Mais qu’entend-on par relance ? Et comment la pratiquer avec efficacité et éthique ?
Qu’est-ce que la relance ?
La relance désigne l’ensemble des techniques utilisées par l’intervieweur pour encourager l’interviewé à développer davantage sa pensée, à préciser un propos, ou à approfondir un thème.
Elle est essentielle pour éviter des réponses superficielles, revenir sur des éléments flous, et faire émerger des significations plus profondes.
Relancer, ce n’est pas insister ou forcer. C’est offrir de l’espace et stimuler la parole, tout en respectant le rythme et les limites de la personne.
Quels sont les principaux types de relance ?
On peut distinguer plusieurs formes, allant des plus simples aux plus complexes :
- Les relances courtes
– Silences : laisser un temps de pause peut inciter la personne à poursuivre spontanément.
– Encouragements : des mots brefs comme “Oui”, “Je vois”, “Continuez”, montrent que l’on écoute sans interrompre.
Ce sont des techniques non-intrusives, qui soutiennent le flot de parole. - L’interrogation directe
– Utilisée pour creuser un point précis :
→ “Pourquoi avez-vous fait cela ?”
→ “Comment avez-vous ressenti cette situation ?”
Attention : elle doit rester ouverte et neutre, pour ne pas orienter la réponse. - La demande d’explicitation
– Pour clarifier une réponse vague ou ambigüe :
→ “Je ne suis pas sûr de comprendre ce que vous voulez dire par là.”
→ “Vous pouvez préciser ce que signifie ‘c’était compliqué’ ?”
Cela permet d’éviter les malentendus ou les généralisations hâtives. - Les reformulations
Il s’agit de reformuler ce que la personne vient de dire, pour l’amener à réfléchir plus en profondeur :- Reformulation de contenu : “Si je comprends bien, vous avez quitté votre quartier à ce moment-là…”
- Reformulation émotionnelle : “Cela semble vous avoir particulièrement marqué…”
- Reformulation contextuelle : “Tout à l’heure, vous sembliez détendu, mais maintenant vous hésitez. Pourquoi ?”
Ces reformulations montrent que le chercheur écoute avec attention, et incitent à approfondir.
- La relance mémoire
– Permet de revenir sur un élément mentionné plus tôt :
→ “Au début, vous m’avez parlé d’un événement important. Pouvez-vous me le raconter davantage ?”
Elle montre que le chercheur suit le fil du récit et valorise la parole de l’interviewé. - L’évaluation
– Elle pousse l’interviewé à expliciter un jugement personnel :
→ “Vous semblez très sûr de votre position. Qu’est-ce qui vous amène à cette certitude ?”
Elle est utile pour explorer les croyances, les valeurs ou les prises de position. - La provocation contrôlée
– Utilisée avec prudence, elle met en tension deux éléments contradictoires du discours :
→ “Vous dites que la prison ne vous a pas changé, mais vous avez évoqué un changement de comportement. Comment l’expliquez-vous ?”
Cette technique est efficace pour faire émerger des tensions internes, mais elle exige tact et respect. - La relance miroir (ou écho)
– Elle consiste à répéter les derniers mots de la personne pour l’inciter à préciser :
→ “Vous disiez que c’était difficile… difficile comment ?”
C’est une relance douce mais puissante, qui invite à développer.
En conclusion, la relance est le levier central de la richesse d’un entretien qualitatif. Elle exige une écoute attentive, une bonne mémoire verbale, et surtout, une posture éthique. Car relancer, ce n’est pas interroger. C’est ouvrir la parole pour qu’elle se dise au plus près de ce qu’elle veut, ou peut, raconter.
Expliquer la différence entre entretien en profondeur et récit de vie.
Dans le cadre des méthodes qualitatives, nous utilisons différents types d’entretiens selon les objectifs de recherche. Deux formes particulièrement riches et exigeantes sont souvent confondues : l’entretien en profondeur et le récit de vie. Pourtant, bien qu’ils partagent certains points communs, ils répondent à des logiques distinctes.
- L’entretien en profondeur
L’entretien en profondeur est une exploration détaillée d’un sujet spécifique, menée généralement avec un seul interviewé. Il vise à approfondir une thématique précise, souvent en lien avec une expérience, une perception ou une pratique sociale.
🔹 Caractéristiques :
– Un seul chercheur, un seul interviewé,
– Durée longue, parfois plusieurs séances,
– Objectif : explorer un sujet de manière exhaustive,
– Format flexible : l’entretien suit le fil du discours de l’interviewé, tout en gardant un objectif ciblé.
🔹 Usages typiques :
– Comprendre les motivations derrière un comportement,
– Explorer une représentation subjective ou une logique d’action,
– Approfondir un cas particulier dans une recherche plus large.
🔹 Exemple :
– Un entretien en profondeur avec un policier en unité antidrogue pour comprendre comment il perçoit l’évolution des politiques répressives. - Le récit de vie
Le récit de vie, aussi appelé histoire de vie, est une forme d’entretien encore plus globale. Ici, le but est de reconstituer la trajectoire complète d’un individu, à travers son parcours personnel, social, identitaire.
🔹 Caractéristiques :
– L’accent est mis sur la globalité du parcours : enfance, événements marquants, bifurcations, ruptures, continuités, etc.
– L’entretien est souvent complété par d’autres sources :
– Témoignages de proches,
– Documents personnels,
– Archives (photos, lettres, articles).
🔹 Objectifs :
– Comprendre l’évolution d’une identité,
– Explorer les processus de socialisation, de déviance, de réinsertion, etc.
– Identifier les ruptures et les continuités dans le temps long.
🔹 Exemples :
– Étudier la trajectoire d’un ancien détenu ayant connu la récidive avant de réussir sa réinsertion sociale,
– Comprendre le basculement progressif vers une idéologie radicale, à partir d’événements biographiques. - Les différences principales
Entretien en profondeur:
Portée: Focalisée sur un thème précis
Temporalité: Moment ponctuel ou phase particulière
Finalité: Comprendre un phénomène
Données complémentaires: Rarement nécessaires
Position du chercheur: Guide l’exploration sur un thème donné
Récit de vie:
Portée: Globalité de la trajectoire
Temporalité: Longueur durée de vie
Finalité: Reconstituer un parcours identitaire
Données complémentaires: Souvent mobilisées (témoignages, archives)
Position du chercheur: Facilite la narration libre et chronologique
Indiquer quelles variations d’entretien sont possibles.
Après avoir distingué les types d’entretien selon leur niveau de structuration, il est essentiel de comprendre que l’entretien qualitatif ne se limite pas à une forme unique. Il existe plusieurs variations d’entretien, chacune adaptée à des objectifs spécifiques et à des contextes particuliers de recherche.
Je vais aujourd’hui vous présenter les trois grandes variations reconnues en recherche qualitative :
– L’entretien en profondeur,
– Le récit de vie,
– Et le focus group.
- L’entretien en profondeur
Nous l’avons vu précédemment, cet entretien est long, détaillé, souvent répété, avec un seul participant.
🔹 Objectifs :
– Explorer un sujet spécifique en profondeur,
– Comprendre des motivations, des représentations, ou des logiques personnelles.
🔹 Exemple :
– Un entretien avec un travailleur social sur ses stratégies face à la violence institutionnelle. - Le récit de vie
C’est une variation qui reconstruit une trajectoire complète, souvent biographique. Il peut être réalisé en plusieurs temps, et s’appuie parfois sur des documents (photos, lettres, archives), ou des témoignages de proches.
🔹 Objectifs :
– Comprendre une évolution identitaire,
– Mettre en évidence les ruptures et les continuités d’un parcours,
– Explorer une trajectoire de déviance, de réinsertion, ou de militantisme.
🔹 Exemple :
– L’histoire de vie d’un ancien détenu devenu éducateur spécialisé. - Le focus group
Le focus group est une discussion collective guidée par un modérateur, rassemblant de 6 à 12 participants, sélectionnés selon des critères liés à la recherche.
🔹 Caractéristiques :
– Ce n’est pas un entretien collectif classique, mais un espace où les interactions entre les participants sont au centre de l’analyse.
– Il permet d’observer comment se forment, s’opposent ou s’accordent les points de vue.
🔹 Usages :
– Étudier les représentations sociales d’un phénomène,
– Tester des réactions à un projet ou une réforme,
– Comparer les visions de différents groupes sociaux.
🔹 Exemple :
– Réunir des habitants de plusieurs quartiers pour discuter de leur perception des caméras de surveillance.
Pourquoi ces variations ?
Ces formes variées d’entretien permettent au chercheur de s’adapter au terrain, aux personnes et aux objets d’étude :
– Le récit de vie permet de comprendre la durée, la construction d’un sens dans le temps.
– L’entretien en profondeur permet d’explorer les subtilités d’un vécu.
– Le focus group révèle les dynamiques collectives, les logiques de groupe, les conflits de perception.
En conclusion, ces variations ne sont pas concurrentes, mais complémentaires. Le bon chercheur est celui qui choisit la forme la plus pertinente pour sa question, qui adapte son dispositif, et qui reste attentif à ce que le terrain lui permet ou lui demande.
Décrire les différents usages de l’enquête par entretien.
L’entretien qualitatif est une méthode souple, riche et polyvalente. En fonction des objectifs de recherche, il peut remplir trois grands types d’usages : exploratoire, principal ou complémentaire. Ces usages déterminent comment l’entretien est intégré dans une enquête, à quel moment, et avec quelle fonction scientifique.
- L’entretien à usage exploratoire
Dans ce cas, l’entretien est utilisé en amont d’une recherche plus large, souvent avant une enquête quantitative.
🔹 Objectifs :
– Se familiariser avec un terrain encore mal connu,
– Tester des hypothèses,
– Identifier les formulations adaptées pour construire un questionnaire,
– Déterminer les bonnes variables à intégrer dans une étude statistique.
🔹 Exemple :
Avant de concevoir un sondage sur les trajectoires de sortie de la prostitution, le chercheur mène des entretiens exploratoires avec des travailleurs sociaux et d’anciens travailleurs du sexe.
Ce type d’entretien sert donc de boussole initiale pour orienter la suite de la recherche. - L’entretien à usage principal
Ici, l’entretien constitue la source principale de données. Il ne vient pas en complément, mais constitue le cœur de l’enquête.
🔹 Objectifs :
– Comprendre en profondeur des phénomènes complexes,
– Explorer des logiques de comportement, des représentations, des récits d’expérience,
– Accéder à des subjectivités invisibles aux outils quantitatifs.
🔹 Usages fréquents :
– Études sur la perception du droit ou de la justice,
– Enquêtes sur l’engagement politique ou la radicalisation,
– Analyses de mémoire collective ou d’événements traumatiques.
🔹 Exemple :
Une recherche sur les violences conjugales basée uniquement sur des entretiens qualitatifs approfondis avec des victimes et des professionnels de terrain.
Ce type d’entretien exige une analyse fine des discours, une attention aux détails, aux silences, aux contradictions. - L’entretien à usage complémentaire
Enfin, l’entretien peut être utilisé en parallèle ou à la suite d’un sondage quantitatif. Il vient ici ajouter de la profondeur, expliquer des résultats ou illustrer des tendances.
🔹 Trois moments possibles :
– Avant le sondage : pour affiner les hypothèses et préparer le questionnaire,
– Pendant : pour comparer données chiffrées et discours qualitatifs,
– Après : pour comprendre des résultats ambigus ou inattendus.
🔹 Exemple :
Un sondage montre que 40 % des détenus n’ont pas confiance en la justice. Des entretiens complémentaires permettent d’explorer les raisons profondes de cette défiance.
Ce type d’usage renforce l’interprétation des données et connecte le quantitatif à l’humain.
Conclusion
Ces trois usages – exploratoire, principal, complémentaire – montrent que l’enquête par entretien n’est pas une technique figée, mais un outil adaptable, que le chercheur peut mobiliser à différentes étapes de son travail.
C’est cette flexibilité, couplée à une profondeur d’analyse, qui fait de l’entretien l’un des piliers de la recherche qualitative en criminologie.
Expliquer l’observation comme méthode de recherche.
Après avoir longuement exploré les entretiens, je vous propose aujourd’hui de nous pencher sur une autre méthode fondamentale de la recherche qualitative : l’observation.
Observer, en sciences sociales, ce n’est pas simplement “regarder”. C’est une démarche méthodique, qui consiste à s’immerger dans un terrain, à assister aux pratiques sociales en temps réel, pour comprendre les dynamiques à l’œuvre, souvent au-delà de ce que les acteurs eux-mêmes expriment.
Définition et logique de l’observation
L’observation consiste à se rendre sur le terrain, à regarder ce qui se passe dans un contexte social réel, sans recourir à des questionnaires, et en minimisant l’intervention du chercheur.
🔹 On peut la résumer ainsi : “Aller sur place et regarder”.
🔹 C’est une méthode empirique, inductive et souvent participative : on part du réel pour formuler des hypothèses.
Quels types de données produit-elle ?
L’observation produit principalement des données qualitatives, mais peut aussi inclure certains éléments quantitatifs.
🔹 Données qualitatives :
– Notes de terrain,
– Descriptions détaillées,
– Conversations entendues,
– Comportements observés,
– Croquis ou schémas de l’espace.
🔹 Données quantitatives simples :
– Comptage d’événements,
– Fréquences de comportements (ex. : nombre de personnes ne respectant pas une règle).
Mais attention : l’objectif n’est pas de mesurer, mais de comprendre.
Cadre épistémologique
L’observation repose sur une logique inductive.
→ On ne teste pas une hypothèse préexistante : on observe, on décrit, on interprète, puis on formule des hypothèses à partir de ce qu’on a vu.
🔹 Exemple :
L’observation de comportements déviants dans certains lieux publics peut amener à formuler une hypothèse sur l’influence de l’aménagement urbain sur la délinquance opportuniste.
Mais ces hypothèses doivent ensuite être testées par d’autres méthodes (souvent quantitatives), si l’on veut les valider scientifiquement.
Quand utiliser l’observation ?
L’observation est particulièrement pertinente dans deux grands cas :
1. Comprendre des comportements dans leur contexte naturel
→ Observer ce que les gens font, pas seulement ce qu’ils disent faire.
→ Permet d’analyser les pratiques informelles, les ajustements du quotidien, les non-dits.
🔹 Exemple :
Suivre la vie quotidienne d’un toxicomane délinquant : consommation, interactions, stratégies de survie.
1. Étudier l’évolution de processus sociaux dynamiques
→ Suivre un phénomène en train de se produire, capter les bifurcations, tensions, émergences.
🔹 Exemple :
Observer de l’intérieur une manifestation : qui parle, qui agit, comment les tensions naissent, etc.
Conclusion
L’observation permet d’accéder à l’invisible, à ce qui ne se dit pas, à ce que les mots ne suffisent pas à révéler.
Elle repose sur la présence, la patience, la réflexivité, et le regard affûté du chercheur.
C’est une méthode puissante, mais exigeante. Car observer, c’est aussi se mettre en jeu, et reconnaître qu’on ne voit jamais tout, mais qu’on peut toujours voir mieux.
Expliquer les problèmes pratiques et éthiques de l’observation.
L’observation, nous l’avons vu, est une méthode précieuse pour comprendre les dynamiques sociales en profondeur. Mais elle n’est pas sans difficultés. Aujourd’hui, je vais vous parler des problèmes pratiques et éthiques que pose l’observation, en particulier l’observation participante.
- Un principe fondamental : “Observer, c’est agir”
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le chercheur ne reste jamais neutre sur le terrain. Même lorsqu’il est discret, sa seule présence modifie ce qu’il observe.
On dit souvent :
“Tout ce que fait l’observateur a un effet, même minime, sur ce qu’il observe.”
Ce simple principe génère des conséquences importantes, tant sur le plan pratique que moral.
🌐 Problèmes pratiques
a) Modification des comportements
– Les personnes observées peuvent adapter leur comportement, tenir un discours plus socialement acceptable, ou jouer un rôle.
→ Cela fausse la spontanéité des situations.
b) Expulsion du chercheur
– Si le chercheur est perçu comme un intrus, un espion, ou une menace, il peut être exclu du groupe ou du lieu.
c) Transformation du phénomène étudié
– Par sa simple présence, le chercheur peut modifier la dynamique sociale qu’il cherchait à observer : alliances nouvelles, tensions, silences, déséquilibres.
→ Ce phénomène est connu sous le nom d’effet d’observateur.
⚖️ Dilemmes éthiques
L’observation soulève aussi des questions fondamentales de morale et d’éthique scientifique, notamment autour du consentement et de la transparence.
a) Est-il acceptable de tromper les personnes observées ?
– Dans certains contextes (groupes criminels, milieux illégaux, radicalisation), l’observateur ne peut pas toujours annoncer qu’il est chercheur.
→ Cela permet d’obtenir des données plus fiables, mais pose un problème moral majeur : la fin justifie-t-elle les moyens ?
b) Consentement éclairé
– Dans la plupart des cas, il est éthiquement indispensable d’informer les participants qu’ils sont observés.
→ Mais cela peut fausser les comportements.
→ À l’inverse, ne pas le faire soulève une question de loyauté.
c) La double position du chercheur
– Le chercheur est à la fois scientifique, participant, parfois ami, voire confident.
→ Cette multitude de rôles peut brouiller la frontière entre distance critique et implication émotionnelle.
Un équilibre délicat
Faire de l’observation, c’est négocier en permanence entre rigueur scientifique, efficacité méthodologique et intégrité éthique.
→ Trop de distance, et l’on ne comprend rien.
→ Trop d’implication, et l’on perd sa neutralité.
→ Trop de transparence, et le terrain se ferme.
→ Trop d’opacité, et l’on trahit la confiance des personnes observées.
Conclusion
Les problèmes pratiques et éthiques de l’observation ne sont pas des obstacles insurmontables, mais des tensions à gérer consciemment.
Le bon chercheur ne prétend pas les éviter. Il les réfléchit, les assume, les documente. Car c’est aussi cela, la qualité d’une recherche qualitative : une conscience aiguë de ce que notre regard change… en regardant.
Expliquer la différence entre observateur total et participant total.
Lorsqu’un chercheur utilise l’observation comme méthode, il doit définir le rôle qu’il occupera sur le terrain. Ce rôle est fondamental, car il détermine la nature des données collectées, mais aussi les enjeux éthiques et la posture du chercheur.
Aujourd’hui, je vais vous présenter deux extrêmes opposés sur ce continuum d’implication : l’observateur total et le participant total.
- L’observateur total
Dans cette posture, le chercheur adopte une position de distance maximale. Il n’interagit pas avec les acteurs sociaux et ne se fait pas identifier comme chercheur.
🔹 Caractéristiques :
– Il observe sans participer,
– Il reste extérieur à la situation, souvent de manière discrète voire anonyme,
– Il est typiquement utilisé dans les lieux publics, pour observer des comportements visibles.
🔹 Objectifs :
– Collecter des données objectives, sans influencer la scène observée,
– Limiter les effets de présence du chercheur.
🔹 Exemple :
– Observer depuis un point fixe le nombre de conducteurs ne portant pas leur ceinture ou de piétons traversant au feu rouge.
🔹 Avantages :
– Faible risque de perturbation du terrain,
– Données parfois quantifiables (comptage, fréquence).
🔹 Limites :
– L’observateur ne comprend pas toujours le sens des comportements, faute de contexte,
– Interactions involontaires possibles malgré lui (regards, suspicion…). - Le participant total
Ici, on est dans la situation inverse : le chercheur est pleinement impliqué dans les activités du groupe… mais ne révèle pas son identité de chercheur.
🔹 Caractéristiques :
– Le chercheur agit comme un membre à part entière,
– Il cache son rôle d’observateur,
– Il peut intégrer des milieux fermés, clandestins, illégaux, où l’accès est impossible autrement.
🔹 Exemple :
– Un chercheur qui s’infiltre dans un groupe radical ou un gang pour comprendre ses dynamiques internes sans annoncer sa démarche.
🔹 Avantages :
– Accès à des données inaccessibles autrement,
– Possibilité d’observer des pratiques authentiques, non influencées par une présence extérieure.
🔹 Limites et dilemmes éthiques majeurs :
– Aucune transparence, donc pas de consentement éclairé,
– Risque personnel élevé pour le chercheur,
– Dilemme entre loyauté envers le groupe et exigence scientifique,
– Validité scientifique discutable, car le mensonge méthodologique peut entacher la confiance.
En résumé
Observateur total:
Implication: Aucune participation
Identification: Anonyme, non identifié comme chercheur
Interaction: Nulle ou minimale
Avantage: Objectivité, discrétion
Risque: Manque de compréhension du sens
Participant total:
Implication: Participation complète
Identification: Non identifié comme chercheur
Interaction: Intégration active
Avantage: Accès à des données rares et authentiques
Risque: Problèmes éthiques et risques personnels
Expliquer la différence entre observateur qui participe et participant qui observe.
Lorsque l’on mène une recherche qualitative par observation, il est rare de rester entièrement passif ou totalement immergé sans recul. La plupart du temps, le chercheur évolue dans une zone intermédiaire, entre participation et observation.
Deux postures hybrides méritent alors toute notre attention : celle de l’observateur qui participe et celle du participant qui observe. Ces rôles sont proches… mais distincts.
- L’observateur qui participe
(parfois appelé « observateur en tant que participant »)
Dans ce rôle, le chercheur est identifié comme tel. Il n’intervient pas activement dans les actions ou les décisions, mais assiste aux activités du groupe de manière transparente.
🔹 Caractéristiques :
– Le chercheur se tient en retrait,
– Il est présent physiquement, mais ne prend pas de décisions,
– Il garde une position neutre et éthique.
🔹 Exemple :
– Assister à une réunion communautaire en tant qu’invité observateur, ou à une séance de travail d’un service social.
🔹 Avantages :
– Permet de voir le groupe fonctionner “de l’intérieur”,
– Offre une intégration minimale sans fausser les dynamiques,
– Respect du consentement et de la transparence.
🔹 Limites :
– Les comportements peuvent être influencés par sa présence,
– Le chercheur peut manquer de compréhension intime des logiques internes du groupe. - Le participant qui observe
Ici, la posture est plus immersive. Le chercheur est pleinement impliqué dans les activités du groupe, tout en restant identifié comme chercheur. Il agit avec le groupe, participe aux routines, prend part aux discussions, mais maintient une réflexivité constante sur son rôle.
🔹 Caractéristiques :
– Le chercheur participe aux actions,
– Il est reconnu comme chercheur, mais s’engage dans la vie quotidienne du groupe,
– Il vit les choses “de l’intérieur”, tout en gardant une distance analytique.
🔹 Exemple :
– Un chercheur qui participe à un programme de réinsertion pour anciens détenus, partage les ateliers, les repas, les discussions, tout en observant.
🔹 Avantages :
– Accès à des interactions authentiques,
– Compréhension fine des dynamiques sociales,
– Relation de confiance plus forte avec les participants.
🔹 Limites :
– Risque de biais d’empathie, ou de perte de distance critique,
– Possible confusion des rôles : chercheur ou membre du groupe ?
Différence essentielle entre les deux:
Observateur qui participe:
Niveau d’implication: Faible à modéré
Position dans le groupe: Présence tolérée mais en retrait
Objectif: Observer avec discrétion
Risque: Distance excessive
Participant qui observe:
Niveau d’implication: Fort (activités partagées)
Position dans le groupe: Intégré, parfois perçu comme un pair
Objectif: Comprendre de l’intérieur par l’action
Risque: Trop grande proximité
Pour l’observation, comment prépare-t-on la recherche sur le terrain ?
L’observation en recherche qualitative ne commence pas le jour où l’on entre sur le terrain. Au contraire, une préparation rigoureuse et stratégique est indispensable pour garantir l’accès, la qualité des données, et le respect de l’éthique.
Je vais vous exposer aujourd’hui les principales étapes de la préparation d’une recherche par observation, telles qu’elles sont reconnues dans la démarche qualitative.
- Faire une revue de la littérature
Avant de se rendre sur le terrain, le chercheur doit étudier ce qui a déjà été écrit sur le sujet ou sur un terrain similaire.
🔹 Objectifs :
– Identifier les concepts utiles,
– Éviter les répétitions inutiles,
– Comprendre les enjeux sociaux, historiques ou culturels liés au terrain. - Se familiariser avec le terrain
Il ne s’agit pas d’entrer à l’aveugle. Le chercheur doit comprendre le contexte social dans lequel il va s’immerger.
🔹 Moyens :
– Lire des rapports, des témoignages, des articles,
– Repérer les dynamiques en jeu (conflits, hiérarchies, codes informels…). - Parler avec des informateurs
Les informateurs sont des personnes ayant une connaissance fine du terrain sans forcément en faire partie.
🔹 Exemples :
– Travailleurs sociaux, journalistes locaux, anciens membres du groupe étudié.
🔹 Rôle :
– Aider à formuler les premières hypothèses,
– Éviter les faux pas initiaux,
– Comprendre les codes implicites. - Trouver des “gatekeepers” (gardiens de l’accès)
Le gatekeeper est la personne qui peut ouvrir les portes du terrain.
🔹 Rôle :
– Légitimer la présence du chercheur,
– Présenter les premiers contacts,
– Créer une forme de “parrainage” social.
🔹 Attention :
– Il ne doit pas contrôler la recherche, ni imposer un point de vue. La relation doit être équilibrée.
🔹 Exemple :
Un éducateur peut faciliter l’accès à un centre pour mineurs délinquants. - Soigner le premier contact
“Le premier contact est capital.”
Le moment où le chercheur arrive sur le terrain peut déterminer toute la suite de l’enquête.
🔹 Recommandations :
– Être clair et honnête sur ses intentions,
– Montrer du respect, de l’écoute, et de l’humilité,
– Préparer une présentation concise et accessible du projet. - Adapter sa posture
Dans la recherche qualitative, il n’existe pas de norme fixe. Chaque terrain impose ses propres ajustements méthodologiques et éthiques.
🔹 Conséquences :
– Nécessité de faire preuve de flexibilité,
– Capacité à réagir face à l’imprévu,
– Exercice constant de réflexivité : comment ma présence, mon comportement, mes valeurs influencent-ils les données ?
Conclusion
Préparer une recherche par observation, c’est préparer une rencontre, non seulement avec un lieu ou un groupe, mais aussi avec des incertitudes, des rapports de pouvoir, des émotions.
C’est pourquoi le chercheur doit entrer sur le terrain avec des outils, mais sans œillères ; avec une méthode, mais sans rigidité.
Car dans l’observation, la préparation n’est pas un préalable figé, mais un processus dynamique, qui commence avant le terrain… et ne s’arrête jamais vraiment.
Décrire l’échantillonnage dans l’observation.
Lorsqu’on mène une enquête quantitative, l’échantillonnage suit souvent des règles statistiques strictes. En observation qualitative, c’est bien différent. Il ne s’agit pas de représenter une population entière, mais de choisir des situations, des lieux et des moments pertinents, capables d’éclairer le phénomène étudié.
Voyons ensemble comment fonctionne l’échantillonnage en observation, et quelles sont ses logiques fondamentales.
- Un échantillonnage non représentatif au sens statistique
En observation qualitative, l’objectif n’est pas la généralisation, mais la compréhension approfondie.
🔹 Il ne s’agit pas de sélectionner des cas “au hasard”, mais des cas stratégiques :
– Riches en interactions,
– Représentatifs d’une dynamique spécifique,
– Marqués par des tensions ou des bifurcations. - Le critère principal : la diversité des situations
L’observateur doit chercher à varier les contextes d’observation pour capter la richesse du phénomène étudié.
🔹 Cela implique de jouer sur plusieurs dimensions :
– Lieux : différents espaces sociaux (bureau, rue, salle d’attente…),
– Moments : différents temps de la journée ou de la semaine,
– Personnes : différents profils d’acteurs (professionnels, usagers, témoins…).
🔹 Exemple :
Dans une enquête sur les interactions police/population, on observera à la fois :
– des contrôles de routine,
– des interventions musclées,
– des dialogues apaisés dans un cadre de médiation. - Échantillonnage raisonné et progressif
L’échantillonnage n’est pas toujours entièrement planifié à l’avance. En observation, il est souvent ajusté au fil du terrain.
🔹 On parle alors d’échantillonnage théorique, inspiré de la méthode de la Grounded Theory :
– Le chercheur commence par observer quelques situations,
– Il identifie des régularités ou des contrastes,
– Puis il choisit d’autres situations pour tester ou compléter ses premières hypothèses.
C’est une démarche itérative et inductive, où l’échantillon se construit progressivement. - Durée et intensité de l’observation
Un bon échantillonnage ne dépend pas seulement du nombre de cas, mais aussi du temps passé sur le terrain.
🔹 On parle souvent de saturation :
– Lorsque l’observateur commence à entendre et voir les mêmes choses,
– Que les variations significatives se répètent,
→ C’est un signe qu’on a atteint une certaine complétude analytique.
Conclusion
L’échantillonnage en observation n’est pas un tirage au sort : c’est un choix méthodique et raisonné, qui repose sur une double exigence :
– Diversifier les contextes pour saisir les nuances du réel,
– Approfondir l’analyse en s’adaptant aux surprises du terrain.
Car en observation, c’est souvent le terrain lui-même qui “choisit” ce qu’il nous donne à voir… encore faut-il savoir le reconnaître.
Décrire comment enregistrer, traiter et analyser les données de l’observation.
L’observation ne s’arrête pas lorsque le chercheur quitte le terrain. Au contraire, c’est souvent après l’immersion que commence le véritable travail scientifique : celui de l’enregistrement, du traitement et de l’analyse des données recueillies.
Aujourd’hui, je vais vous présenter ces trois grandes étapes de la transformation du vécu en savoir.
- Enregistrement des données d’observation
Le premier réflexe du chercheur doit être de noter le plus rapidement possible ce qu’il a observé. Car la mémoire est imprécise, surtout lorsqu’il s’agit de détails comportementaux, d’ambiances ou de dialogues.
🔹 Supports principaux :
– Carnet de terrain : support fondamental pour l’ethnographe. Il doit être utilisé de manière quasi quotidienne,
– Notes brutes : prises “sur le vif”, parfois en quelques mots, pour capturer un geste, une phrase, une tension,
– Notes développées : rédigées après coup, le soir ou le lendemain, pour reconstruire la scène, enrichir le contexte, et introduire une première interprétation.
🔹 Contenu typique des notes :
– Descriptions précises du lieu et des personnes,
– Mots prononcés, gestes, silences, expressions non verbales,
– Réactions du chercheur, impressions subjectives, éléments surprenants.
🔹 Autres supports éventuels :
– Dessins, croquis, plans d’espaces, photos (si autorisées), enregistrements audio (rare et toujours avec consentement explicite). - Traitement des données
Après l’enregistrement, le chercheur doit organiser et structurer ses matériaux.
🔹 Organisation chronologique :
– Regrouper les observations par date, lieu ou événement.
🔹 Codification thématique :
– Identifier des motifs récurrents (ex. : conflits, négociations, évitement, hiérarchie implicite),
– Attribuer des étiquettes aux extraits de notes selon leur contenu.
🔹 Croisement des données :
– Comparer les observations entre différents lieux, moments, ou groupes sociaux,
– Mettre en évidence des écarts ou des régularités. - Analyse des données
L’analyse consiste à faire parler les matériaux recueillis en leur donnant une cohérence interprétative. C’est le moment où le chercheur construit le sens.
🔹 Méthodes possibles :
– Analyse inductive : partir des observations pour faire émerger des catégories,
– Analyse thématique : regrouper les données autour de grands thèmes,
– Analyse comparative : observer les variations selon les contextes.
🔹 Démarche réflexive :
– Le chercheur doit interroger sa propre position, ses biais, ses émotions vécues sur le terrain.
→ Car en observation, le chercheur fait partie du dispositif, et ses impressions sont aussi des données.
🔹 Exemple :
Un chercheur observe une salle d’attente d’un service social. Il note les comportements d’évitement, les silences, les regards. Il les compare à ceux observés dans un autre lieu. Peu à peu, il fait émerger l’idée que “l’attente” produit une forme d’invisibilisation sociale — ce sera un axe de son analyse.
Conclusion
L’observation ne vaut que si elle est documentée avec rigueur, organisée avec méthode, et analysée avec distance critique.
Dans ce processus, le chercheur devient à la fois scribe du quotidien, interprète du social, et analyste de sa propre posture. Car il ne s’agit pas seulement d’avoir vu, mais de savoir ce que cela signifie, pour qui, et dans quel contexte.
Lister les avantages et inconvénients de l’observation.
Pour conclure cette série sur les méthodes qualitatives, il me semble important de faire un point clair sur les forces et les limites de l’observation comme méthode de recherche.
Car si l’observation est souvent vue comme une technique “authentique” ou “au plus près du réel”, elle n’est pas exempte de contraintes méthodologiques, pratiques et éthiques.
Voyons donc ensemble les principaux avantages… et les inconvénients majeurs de l’observation.
✅ Avantages de l’observation
- Accès au réel tel qu’il se produit
L’observation permet de voir les pratiques sociales en situation, souvent sans filtre verbal. On n’écoute pas ce que les gens disent faire… on voit ce qu’ils font réellement.
🔹 Exemple : Observer un contrôle de police donne accès aux gestes, aux regards, aux postures, que les entretiens seuls ne pourraient restituer. - Accès à l’implicite
De nombreuses règles sociales ne sont jamais dites, mais agies. L’observation permet d’identifier les routines, les ajustements informels, les rapports de domination non exprimés.
🔹 Exemple : Des gestes de respect ou d’exclusion dans une salle d’attente, imperceptibles par questionnaire. - Démarche inductive souple
L’observation permet une démarche ouverte, qui laisse émerger les phénomènes sans cadre préétabli. Le chercheur adapte sa focale au fur et à mesure.
→ Cela favorise les découvertes empiriques, les questions imprévues, les inflexions d’analyse. - Compréhension dynamique des situations
On peut suivre un processus dans le temps : un conflit qui monte, une alliance qui se forme, une exclusion qui se construit.
→ Cela donne accès à la temporalité du social, souvent absente des autres méthodes.
❌ Inconvénients de l’observation
- Difficulté d’accès au terrain
Il est parfois très difficile d’obtenir le droit d’observer certaines scènes (prison, hôpital, groupes illégaux…).
→ Cela demande beaucoup de temps, de diplomatie, de préparation. - Présence du chercheur modifie la situation
Même discret, le chercheur influence le comportement des acteurs.
→ On parle d’effet d’observateur.
→ Cela peut fausser l’authenticité des données. - Risques de biais subjectifs
L’observation dépend beaucoup de l’interprétation du chercheur, de sa position, de son regard, de ses attentes.
→ Il faut être réflexif et transparent sur sa posture, mais cela reste un biais difficilement évitable. - Données parfois difficilement comparables
Contrairement à un questionnaire standardisé, chaque observation est unique, contextuelle, et parfois difficile à mettre en série ou à croiser avec d’autres sources.
→ L’analyse peut être lourde, longue, et difficilement généralisable. - Dilemmes éthiques constants
→ Doit-on se présenter comme chercheur ?
→ Que faire si on observe un comportement illégal ?
→ Comment protéger l’anonymat dans un petit groupe fermé ?
→ L’observation confronte le chercheur à des choix moraux délicats, souvent sans solution simple.
Conclusion
L’observation est une méthode précieuse, vivante, immersive, mais aussi exigeante. Elle demande du temps, du recul, de la rigueur, et surtout une forte conscience éthique.
Mais bien menée, elle permet de rendre visible l’invisible, de comprendre les mécanismes subtils du social, et de faire émerger des savoirs que personne ne nous aurait dits.
Merci de votre attention… et de votre engagement à penser la recherche qualitative dans toute sa richesse et sa complexité.