Leçon 3 Flashcards
(9 cards)
Le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé
Un pouvoir constituant originaire est instauré lorsqu’il faut établir une nouvelle constitution. Tel est le cas lorsqu’un nouvel Etat est créé ou lorsque, dans un Etat existant, il est mis fin à l’ordre constitutionnel ancien — à la suite d’une révolution ou de manière totalement pacifique. Dans le second cas, il existera alors, une phase de transition, impliquant la tenue d’élections démocratiques et l’élaboration d’une Constitution protectrice des droits et libertés, comme à été le cas en Afrique du Sud, marquant le début de la fin du régime d’apartheid.
Il existe plusieurs méthodes pour établir la 1e Constitution d’un Etat: les méthodes monarchistes et les méthodes populaires.
La 1e méthode monarchiste suppose que le monarque, détenteur premier du pouvoir, octroie une constitution au peuple qui est appelé, de ce fait, à exercer le pouvoir. L’élaboration de la Constitution s’inscrit donc en dehors de tout contexte démocratique, quitte à engendrer pour l’avenir un système dans lequel les citoyens ne bénéficient de l’exercice du pouvoir qu’à la suite d’une décision unilatérale du Prince, conçu comme détenteur initial de la souveraineté. La Charte constitutionnelle de 1814, promulguée par Louis XVIII, est un exemple célèbre de cette méthode. En 1830, la nouvelle Charte constitutionnelle française n’est plus octroyée unilatéralement, mais est le résultat d’un Pacte passé entre le Roi et le peuple, illustrant le 2e procédé monarchique. Cette fois, les citoyens interviennent dans le processus d’attribution du pouvoir, mais, dans cette méthode à caractère contractuel, le Prince conserve une large marge de manœuvre, puisque son accord est indispensable pour que le pacte soit conclu. Cependant, ces méthodes ont du mal à se concilier avec la notion de démocratie et que la majorité des Etats modernes optent plutôt pour des méthodes populaires permettant d’associer les citoyens, directement ou indirectement, à l’adoption du texte constitutionnel.
Dans une 1e méthode, le texte constitutionnel établi par les détenteurs du pouvoir est soumis à référendum. Un tel système peut être dangereux. En effet, l’absence de discussions au moment de l’élaboration du texte permet d’y inclure des dispositions qui garantissent aux détenteurs premiers du pouvoir les moyens de conserver celui-ci. La technique du référendum a d’ailleurs souvent été utilisée dans des régimes autoritaires afin de sauvegarder les apparences démocratiques. La Belgique a, lors de sa conception, optée pour la 2e formule populaire. Celle-ci consiste dans une élection préalable d’une assemblée chargée de rédiger le texte constitutionnel. L’assemblée constituante offre la garantie d’un large débat sur le texte constitutionnel. Une 3e formule consiste dans une combinaison des deux méthodes précédentes. La Constitution est élaborée par une assemblée élue par le peuple et, par la suite, est soumise à référendum. Le principal inconvénient de cette formule réside dans une multiplication des consultations électorales, les risques d’abstentionnisme qu’elle implique et le fait que le résultat de la consultation peut être faussé par un plébiscite. Cette dérive a pu être constatée, en France, à l’occasion des référendums constitutionnels organisés par le général de Gaulle.
Une 4e formule met en œuvre des procédés de démocratie participative en permettant l’intervention d’assemblées citoyennes tirées au sort dans le processus d’élaboration ou de révision de la Constitution, comme l’a été le cas en Islande ainsi qu’en Irlande, à la suite de la crise financière globale de 2008.
Le pouvoir constituant dérivé permet de modifier l’œuvre du constituant originaire. A cet égard, une distinction doit être faite entre les constitutions souples et rigides. La rigidité des constitutions varie d’un Etat à l’autre. Certaines — les souples — peuvent être modifiées de la même manière qu’une loi ordinaire. Tel est le cas des règles constitutionnelles anglaises, par ex., qui ne figurent pas dans une constitution au sens formel. Les règles fondamentales d’organisation de l’Etat sont soit coutumières, soit inscrites dans les lois ordinaires. Dans la plupart des autres pays, les constitutions sont rigides, et ne peuvent donc être révisées que selon une procédure spéciale, soit par des organes particuliers, soit par les organes législatifs ordinaires, mais en respectant des majorités ou des procédures spéciales. Le caractère fédéral d’un Etat emporte le plus souvent un surcroît de rigidité. Il ne suffit pas que le texte soit adopté par les organes de la Fédération. Encore faut-il l’assentiment de tout ou partie des composantes fédérées.
La coutume constitutionnelle
La coutume constitutionnelle joue un rôle essentiel dans le droit public. Certaines pratiques acquièrent au fil du temps la qualité de coutume et, par conséquent, de règles juridiquement obligatoires. D’autres, en revanche, restent dénuées de tout fondement juridique. Il n’est pas facile de faire une distinction concrète entre une coutume et une simple pratique. La coutume — en tenant compte des différentes évolutions qui affectent la vie des institutions — traduit, dans la réalité politique, les principes établis par la Constitution. Cette fonction de la coutume, propre au droit constitutionnel, fournit un critère qui permet de déterminer si une pratique institutionnelle revêt un caractère juridiquement obligatoire. Si un usage apparaît comme une conséquence inévitable des principes fixés par la Const. et qu’il est une condition indispensable au fonctionnement harmonieux des instituions, il doit être élevé au rang de coutume constitutionnelle. Ce critère met en évidence le caractère supplétif de la coutume constitutionnelle. Il serait inadmissible, dans un système fondé sur la primauté du droit écrit et sur la rigidité du texte constitutionnel, qu’une coutume puisse modifier les termes clairs de la Const. ou de la loi.
Un exemple de coutume constitutionnelle est la désignation d’un informateur lors de la procédure de nomination des ministres. Cette pratique ne semble pas avoir d’influence déterminante sur le fonctionnement des institutions et n’est pas une conséquence des principes inscrits dans la Charte fondamentale. Le rôle de l’informateur n’est en effet pas indispensable mais va faciliter la tâche du formateur. La désignation de ce dernier est, par contre, bien nécessaire car seul lui permet d’éviter au Roi de faire choix d’une coalition gouvernementale et de négocier un programme de gouvernement. Le formateur est le garant de l’inviolabilité et de l’irresponsabilité du Roi.
La Constitution belge originaire
Suite à l’expulsion des autorités hollandaises, la BE est laissée, en 1830, sans véritable autorité. Le 24 septembre 1830, la population apprend qu’une commission administrative de trois personnes et de deux secrétaires a pris le pouvoir.
Le 26 septembre, cette commission s’élargit en un gouvernement provisoire composé de sept membres et de deux secrétaires. Cet organe veille à substituer rapidement, à son autorité de fait, une autorité de droit. Le 4 octobre, il prend, en effet l’arrêté suivant:
“Le Gouvernement provisoire,
Considérant qu’il importe de fixer l’état futur de la Belgique
Arrête :
Art. 1 : Les provinces de la Belgique violemment détachées de la
Hollande constitueront un État indépendant.
Art. 2 : Le comité central s’occupera au plus tôt d’un projet de
constitution.
Art. 3 : Un Congrès national, où seront représentés tous les intérêts des provinces sera convoqué. Il examinera le projet de constitution belge, le modifiera en ce qu’il jugera convenable, et le rendra, comme constitution définitive, exécutoire dans toute la Belgique ».
Dès le 6 octobre, le gouvernement provisoire charge une commission de quatorze membres de rédiger un projet de constitution. Sur les indications de la commission, deux jeunes juristes rédigent un avant-projet dont un certain nombre d’articles sont encore en vigueur aujourd’hui. Les travaux de la commission, entamés le 12 octobre, sont achevés en 5 jours. Le texte adopté par la commission est communiqué au gouvernement provisoire le 27 octobre.
Le 3 novembre, les 200 membres du Congrès national sont élus dans le respect du suffrage censitaire et capacitaire : 30 000 électeurs sur 46 000 inscrits procèdent à cette élection. Le Congrès national se réunit le 10 novembre 1830. Il en informe le gouvernement provisoire le 11 novembre qui, le 12 novembre, remet “à cet organe légal et régulier du peuple belge, le pouvoir provisoire, qu’il a exercé depuis le 24 septembre 1830, dans l’intérêt et avec l’assentiment du pays”. Le président du Congrès national lui répond ensuite qu’étant donné le bon travail accompli jusqu’à présent, le gouvernement, doté maintenant d’une légitimité nationale, conserverait le pouvoir exécutif, “jusqu’à ce qu’il soit autrement pourvu par le Congrès”.
La BE n’est, cependant, pas encore un Etat de droit, ne serait-ce que parce que le système institutionnel et le système normatif n’existent qu’en germe.
Avant d’aborder l’examen du projet de Constitution, le Congrès national adopte deux décrets. Aux termes du 1e, daté du 18 novembre 1830, “Le Congrès de la Belgique proclame l’indépendance du peuple belge, sauf les relations du Luxembourg avec la Confédération germanique”. Dans le second décret du 24 novembre 1830, “Le Congrès national déclare que les membres de la famille d’Orange-Nassau sont à perpétuité exclus de tout pouvoir en Belgique”. Par un décret du 24 février 1831, le Congrès national déclare que c’est comme corps constituant qu’il a porté ses décrets des 18 et 24 novembre, relatifs à l’indépendance du peuple belge et à l’exclusion à perpétuité des membres de la famille d’Orange-Nassau de tout pouvoir en BE. Cette procédure a pour objet de donner aux deux premiers décrets une valeur identique à celle de la Const., tout en les soustrayant à la possibilité de révision à laquelle les dispositions de la Const. proprement dite sont soumises en vertu de son art. 195. Les décrets des 18 et 24 novembre 1830 ont donc valeur constitutionnelle, mais sont intangibles (= à quoi l’on ne peut pas toucher/porter atteinte).
L’œuvre principale du Congrès national consiste à adopter la Constitution. Celle-ci est achevée le 7 février 1831, soit trois mois après la réunion de l’assemblée. Les travaux du Congrès national portent sur un nombre limité de dispositions. Il se contente, en effet, d’adopter tels quels la plupart des articles du projet établi par la commission. Il n’apporte des modifications qu’en ce qui concerne les règles de composition du Sénat — en optant pour une assemblée composée de membres élus — et, d’autre part, les rapports entre l’Eglise et l’Etat et leur incidence sur la liberté des cultes et l’enseignement.
La Const. est promulguée le 11 février et entre en vigueur — à l’exception des dispositions relatives à la royauté et sous réserve du fait que les pouvoirs des deux chambres sont exercés par le Congrès national jusqu’à la prestation de serment de Léopold Ier — lors l’installation du président du Congrès national en tant que régent, le 25 février. Les art. 60 et 61 anciens sont complétés le 20 juillet 1831 par l’indication du nom du prince Léopold de Saxe-Cobourg en qualité de fondateur de la dynastie. La Const. entre, dès lors, pleinement en vigueur le 21 juillet 1831 par la prestation de serment de Léopold Ier. La Constitution de 1831 est donc l’acte fondateur de la BE.
Les déclarations de révision
Le premier acte afin de réviser la Const. est une déclaration, faite par le pouvoir législatif, selon laquelle il y a lieu à la révision de certaines dispositions qui sont précisément identifiées. Les trois branches du pouvoir législatif fédéral, à savoir la Chambre des représentants, le Sénat et le Roi — qualifiées de préconstituant — sont appelées à intervenir dans la procédure. Chaque branche procède séparément à la déclaration. Une disposition n’est soumise à révision que si la Chambre, le Sénat et le Roi la font figurer dans leur déclarations respectives. A défaut, elle ne pourra pas être modifiée.
Dans leur déclaration, il n’appartient pas aux chambres ou au Roi d’indiquer dans quel sens la révision doit être effectuée, et même si cela se produisait, cela ne lierait pas le pouvoir constituant. Celui-ci est toujours libre de s’écarter des principes énoncés par le préconstituant. La situation est toutefois plus complexe lorsqu’il s’agit d’insérer une disposition nouvelle. Lorsque celle-ci ne présente pas de lien évident avec un article existant, le préconstituant se borne à indiquer qu’il y a lieu à la révision de tel chapitre ou titre de la Const., en mentionnant sommairement l’objet de la disposition à insérer.
Lorsque chacune des chambres a voté la déclaration de révision, le Roi fait, à son tour, une déclaration semblable, laquelle est évidemment contresignée par un ou plusieurs ministres. Une question particulière se pose cependant: un gouvernement démissionnaire peut-il contresigner une déclaration de révision de la Constitution? La question s’est posée pour la première fois en 1968, sous le gouv. Vanden Boeynants. Elle se pose de nouveau en 1974 et en 2010. Et puis, en 2019, le gouvernement Michel II, ne voulant pas coopérer avec les chambres, apporte une solution défavorable à la question.
La déclaration du pouvoir législatif est publiée au Moniteur belge. Elle emporte de plein droit la dissolution des chambres. Elle est suivie des arrêtés royaux portant convocation des électeurs dans les 40j. et des nouvelles chambres dans les trois mois. La dissolution répond à une double préoccupation. Tout d’abord, en mettant fin au mandat des parlementaires, elle les empêche d’engager à la légère un processus de révision constitutionnelle. Ensuite, elle permet à la population de se prononcer, par son vote, sur la manière d’opérer la révision. Cependant, ce second objectif n’a plus la même portée qu’auparavant. Les campagnes électorales qui précèdent un processus de révision constitutionnelle ne diffèrent en rien d’une élection législative ordinaire. Les programmes des partis sont à ce point diversifiés qu’il serait impossible à un observateur objectif de déterminer, après les élections, dans quel sens les électeurs souhaitent voir modifier la Constitution. Ce constat est encore renforcé par le fait qu’en raison de l’éclatement du paysage politique belge, une révision ne pourrait être opérée qu’à la suite des négociations suivant les élections et par le fait que les révisions concernent, aujourd’hui, de nombreuses dispositions dont les objets sont les plus variés.
La dissolution des chambres et la révision proprement dite
Dans le respect de certaines procédures de délibération, le pouvoir constituant est habilité à procéder à la révision des dispositions figurant dans la déclaration de révision. L’initiative, en matière de révision constitutionnelle, n’est réglée par aucune disposition. Dans les faits, elle est prise sous forme de propositions, émanant soit de parlementaires, soit du gouvernement. Cependant, le Roi, via ses ministres, n’a jamais déposé de projet de modification de la Constitution.
La procédure d’examen des propositions de modification de la Constitution est fort semblable à l’élaboration d’une loi. La SLCE n’est cependant pas compétente pour formuler un avis sur une initiative du constituant. Pour le vote, l’art. 195 impose un quorum spécial et une majorité spéciale (2/3 chacun). Les abstentions sont considérées comme des suffrages pour le calcul du quorum, mais non pour celui de la majorité spéciale. Une disposition constitutionnelle pourrait donc, théoriquement, être adoptée par la Chambre (150) par deux voix pour, une voix contre et 147 abstentions. Lorsque les textes ont été adoptés par les deux assemblées, ils sont soumis à la sanction royale. Il s’agit de l’acte par lequel le Roi, en sa qualité de 3e branche du pouvoir constituant, marque son approbation à l’égard des projets de textes. Les modifications à la Constitution sont ensuite publiées au Moniteur belge.
Une même disposition constitutionnelle peut-elle être modifiée à deux reprises sous la même législature? La réponse est affirmative lorsqu’il s’agit de réviser une partie de cette disposition qui, au terme d’une première modification, a été laissée intacte. Tel est typiquement le cas de certaines dispositions extrêmement longues, réglant une multiplicité de questions. Il est donc permis de réviser un paragraphe d’une disposition constitutionnelle ouverte à révision, puis d’en modifier un autre à un autre moment de la législature. S’il s’agit, en revanche, de modifier un texte déjà révisé préalablement, la situation est plus délicate. Cette question a été abordée en 1980 au Sénat. A cette occasion, il a été affirmé qu’une fois qu’une disposition constitutionnelle a été modifiée sur un point, le constituant a épuisé sa compétence. Toute nouvelle modification impliquerait de recommencer l’intégralité de la procédure de révision.
Une telle argumentation n’est pas satisfaisante. Tout d’abord, il faut rappeler que les positions prises au moment où la déclaration de révision de la Constitution est élaborée n’engagent en rien le constituant. Ensuite, il vient d’être rappelé que le débat constitutionnel qui se tient devant l’électeur et qui conditionne le résultat des élections tient, la plupart du temps, de la pure fiction. Enfin, compte tenu de ces deux éléments les élus de la Nation, pour autant qu’ils restent dans les limites matérielles assignées par la déclaration de révision de la Constitution, disposent en quelque sorte d’une carte blanche pour modifier celle-ci. On n’aperçoit donc pas pourquoi, alors qu’elles sont constituantes, les chambres seraient privées de la faculté de corriger une erreur, voire de changer d’attitude. S’il existe, en leur sein, la majorité requise pour procéder à une nouvelle révision d’une disposition déjà modifiée, il n’y a pas lieu de considérer que l’esprit de l’article 195 serait méconnu dès lors que toutes les conditions formelles imposées par celui-ci sont réunies.
L’interdiction de procéder à une révision
Le premier type d’interdiction est de nature matérielle et a trait au contenu des normes. Les décrets des 18 et 24 novembre 1830 relatifs à l’indépendance de la Belgique et à l’exclusion des Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique, ont été pris par le Congrès national en tant que corps constituant et ne peuvent être réformés. La Belgique n’est pas la seule à affirmer l’intangibilité de certaines dispositions constitutionnelles. La Loi fondamentale de la République fédérale d’Allemagne, par exemple, a consacré l’intangibilité d’un certain nombre de dispositions, et notamment celles qui consacrent les droits fondamentaux ou le caractère fédéral de l’État.
Il ne peut s’agir là que de déclarations d’intention car s’il existait, à un moment donné, un réel consensus national pour modifier une disposition irréformable, il serait impossible de s’y opposer. De même, si un pouvoir dictatorial est instauré, l’une de ses premières préoccupations sera de priver d’effectivité toutes les dispositions - même irréformables - qui constituent le fondement de l’État de droit. Le seul intérêt de l’intangibilité d’une disposition constitutionnelle est de consacrer solennellement l’importance que lui attribuent les auteurs de la Constitution. De même l’article 187 de la Constitution qui expose que « La Constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie » impose assurément une obligation pour les pouvoirs exécutif et législatif ainsi qu’à toutes les juridictions. Par contre, elle ne s’impose pas avec la même force au constituant puisqu’il lui suffit de modifier l’article 187 pour mettre à mal le principe ainsi consacré. Par ailleurs, si celui-ci devait implicitement en modifier les termes par une modification apportée à une autre disposition constitutionnelle, l’article 187 serait inopérant dès lors qu’il est impossible de contrôler la constitutionnalité de la Constitution.
L’article 197 de la Constitution - tel qu’il a été révisé le 31 juillet 1984 - interdit de modifier, pendant une régence les articles relatifs aux pouvoirs constitutionnels du Roi, ainsi que les articles 85 à 88, 91 à 95, 106 et 197 c’est-à-dire les articles relatifs à la désignation du titulaire de la fonction royale ou du régent et au statut du chef de l’État. L’art. 197 est cependant une disposition ancienne qui procède d’une conception périmée des rapports qui se nouent entre le chef de l’Etat, le gouvernement et le Parlement. A l’heure actuelle, il n’est pas concevable que le Roi puisse opposer effectivement sa volonté aux autorités politiques qui doivent leur légitimité au suffrage universel.
Il est interdit, en outre, en vertu de l’article 196 de la Constitution de procéder à une révision constitutionnelle en temps de guerre ou lorsque les chambres se trouvent empêchées de se réunir librement sur le territoire national. Cette disposition est inspirée d’exemples étrangers où des régimes dictatoriaux se sont établis de manière formellement légale, à la faveur de périodes troublées. Cependant, ces restrictions n’en sont pas vraiment.
Les perspectives de réforme
A l’heure actuelle, il est permis de se demander s’il ne convient pas de revoir la procédure de révision de la Constitution soit en la calquant sur la procédure d’adoption des lois spéciales, soit en introduisant des techniques référendaires, soit en combinant les deux méthodes. Certains ont déjà, par le passé, souhaité soumettre des révisions constitutionnelles à referendum. Une telle initiative était vouée à l’échec du fait de son inconstitutionnalité. En effet, l’organisation d’un référendum ou d’une consultation populaire avant ou après le vote des chambres aurait abouti à introduire une étape supplémentaire dans le processus de révision consacré par l’article 195 de la Constitution et aurait donc violé celui-ci (or art. 33, al. 2).
Peut-on envisager, à l’avenir, de modifier la Constitution afin de consacrer l’existence de référendums constitutionnels? Il s’agit en réalité d’une fausse bonne idée. Tout d’abord, le référendum coalise les oppositions. On peut imaginer qu’un certain nombre d’opposants - qui n’ont aucun projet commun de gouvernement - mettent en échec une réforme qui était le seul compromis possible dans une situation donnée. Autrement dit, le référendum qui devrait être un outil afin de mieux gouverner, peut simplement aboutir à paralyser la mécanique institutionnelle, et cela au détriment de tous. Ensuite, un référendum organisé en Belgique sur une base nationale présente également d’autres inconvénients. En effet, la logique
un homme = une voix permet aux Flamands, majoritaires dans le pays, d’imposer leurs vues aux autres composantes de l’État. Si, en revanche, il est tenu compte de l’existence des régions et des communautés, il faut déterminer dans lesquelles d’entre elles, les propositions constitutionnelles doivent recueillir une majorité. Dans une logique fédérale stricte, une majorité doit être exigée au sein de chaque entité. Une telle solution permettrait, par exemple, à une majorité de la Communauté germanophone - qui ne compte que 77.000 habitants - ou à une majorité de Bruxellois de mettre en échec une réforme exigée dans l’ensemble des autres composantes de l’État. Une telle hypothèse serait alors source de tensions et de frustrations, à l’image de ce qui s’est passé en 1950 lors de la consultation populaire. Enfin, si l’article 195 de la Constitution avait autorisé l’organisation de référendums constitutionnels, la Belgique n’aurait sans doute pas pu se doter d’institutions fédérales, adaptées à sa réalité sociologique. En effet, le référendum implique une photographie momentanée de l’opinion. Il constitue un instantané alors que le processus de réforme de l’État, entre 1970 et 2014, a revêtu un caractère continu. Le fédéralisme belge se caractérise par une succession de réformes qui s’expliquent, s’éclairent et se justifient mutuellement.
Avant les élections législatives du 18 mai 2003, une vive polémique a opposé les partisans et les adversaires de la révision de l’article 195 de la Constitution. Deux arguments contre ont été avancé. Tout d’abord, la majorité des deux tiers constituerait une garantie suffisante pour les Wallons et les Francophones. Ensuite, le système actuel en ce qu’il s’étale sur deux législatures est un garant de stabilité et permettre une révision constitutionnelle qui se déroulerait en une seule législature aboutirait à ravaler la Constitution au rang d’une règle législative, telle la loi spéciale.
Selon d’autres, il convient d’opérer une distinction entre la nation diachronique et la nation synchronique. La nation diachronique, dont l’existence juridique se trouverait consacrée dans l’article 33 de la Constitution, s’analyse comme « la chaîne formée par les générations de nationaux passées, présentes et futures (…) soudée par des principes fondamentaux communs, ceux-là mêmes que la Constitution exprime étant entendu qu’ils sont de temps à autres révisés et enrichis ». Quant à la nation synchronique, il s’agit non plus du peuple perpétuel, mais bien du peuple actuel, à savoir celui que représente le pouvoir législatif fédéral, en vertu de l’article 42 de la Constitution. Selon ces auteurs, la nation synchronique est soumise à la nation diachronique. Autrement dit le peuple actuel est soumis au peuple perpétuel. Ils en déduisent que « le pouvoir constituant dérivé n’est donc rien d’autre que le représentant de cette nation diachronique, transtemporelle, qui traverse le temps. Les règles qu’il édicte ont vocation à s’inscrire dans la longue durée, au-delà des changements imprimés par des majorités de circonstance d’une législature à l’autre ». Il est donc préconisé de maintenir un processus de révision en deux temps. Dans un premier temps, l’initiative d’une révision constitutionnelle serait prise par l’une des trois branches du pouvoir législatif fédéral. Le nouveau texte devrait être voté à la majorité des deux tiers de leurs membres72 par la Chambre et le Sénat, et à la majorité
absolue des membres de chaque groupe linguistique. Ce projet serait alors sanctionné par le Roi et laissé en suspens jusqu’à la première session de la législature suivante. Ce délai d’attente, dans lequel interviendraient inévitablement des élections législatives, permettrait que se mène un débat public en connaissance de cause sur l’objet de la réforme. Dans un second temps, après les élections, il appartiendrait aux nouvelles chambres, dans le respect des mêmes règles de majorité, de confirmer le vote intervenu sous la législature précédente. Ce ne serait qu’à ce moment que la Constitution serait effectivement modifiée.
Enfin, une troisième proposition de réforme est suggérée. Tout d’abord, il s’agirait de calquer les règles de vote applicables en matière constitutionnelle sur celles qui s’imposent pour l’adoption d’une loi spéciale. Ensuite, une fois votée, dans les mêmes termes par les deux chambres, la nouvelle disposition devrait encore fait l’objet d’une deuxième lecture différée, laquelle ne pourrait intervenir qu’après l’expiration d’un délai qui pourrait être d’un an. Il pourrait d’ailleurs être envisagé que ce processus se clôture par un vote final de la Chambre et du Sénat, siégeant en assemblées réunies. Enfin, le délai d’attente serait l’occasion de mener un débat public sur la réforme, lequel aurait notamment l’avantage de ne pas être parasité par une atmosphère de campagne électorale.
Les thèses ainsi présentées ne sont évidemment pas neutres. Elles se fondent sur des conceptions très différentes de la fonction même de la Constitution et de l’ampleur du pouvoir qu’il convient de reconnaître aux députés et aux sénateurs.
Enfin, une nouvelle procédure de révision constitutionnelle doit être enrichie par des mécanismes participatifs. Selon des modalités à définir, il convient d’associer les citoyens au processus de révision, éventuellement à l’intervention d’assemblées citoyennes, afin que leurs positions voire leurs propositions soient effectivement prises en considération par le pouvoir constituant.
Enfin, la doctrine est unanime pour appeler de ses vœux une procédure accélérée de révision constitutionnelle lorsqu’une modification de la loi fondamentale est requise pour que la Belgique puisse ratifier un traité qui comprendrait des dispositions qui entrent en contradiction avec le prescrit constitutionnel.
Le court-circuit de 2012
A la suite des élections législatives du 13 juin 2010, la Belgique a connu la plus longue crise politique de son histoire. Il faudra attendre décembre
2011 pour qu’un nouveau gouvernement se forme. A cette occasion, a été conclu un « accord institutionnel pour la sixième réforme de l’Etat » qui implique d’importantes modifications constitutionnelles. Or un certain nombre d’entre elles concernent des dispositions ne figurant pas dans la déclaration de révision du 7 mai 2010. Les auteurs de la réforme de l’Etat étaient confrontés à une alternative : soit renoncer à une mise en œuvre immédiate de la réforme, soit contourner l’obstacle constitué par l’article 195 de la Constitution. Ils ont opté pour le deuxième choix en procédant à la révision de l’article 195 lui-même. Ils n’ont cependant pas profité de l’occasion pour remédier aux vices de la procédure.
Le 29 mars 201281, l’article 195 de la Constitution, dont le texte actuel demeure inchangé, est complété par une «disposition transitoire», laquelle autorise le pouvoir constituant à réviser immédiatement, mais sous la seule législature en cours, un ensemble de dispositions constitutionnelles, énumérées en 15 points, avec l’indication, pour chacune d’elles, du sens dans lequel la révision devra intervenir.
Le constituant a jugé utile d’indiquer que le système ainsi créé était soumis à cinq restrictions. Il s’agit de la limitation du procédé à une seule législature, de sa limitation aux matières couvertes par l’accord institutionnel du 11 octobre 2011, de l’indication de la manière d’opérer la révision des dispositions qui n’étaient pas visées dans la déclaration de révision, de la nécessité de respecter les droits fondamentaux et de l’application des règles de majorité et de quorum figurant à l’article 195.
Que penser de la solution retenue en 2012 ? Tout d’abord, on s’étonne du fait que le constituant ait adopté une disposition transitoire. Dès lors que l’article 195 n’est en rien modifié pour l’avenir, il n’y a guère de transition entre deux situations juridiques distinctes. Ensuite, il a opportunément indiqué que l’énumération des dispositions soumises à modification ne constitue pas une déclaration de révision. Or tel est, en apparence, le cas. Cette précaution s’explique par la crainte justifiée d’une dissolution automatique des chambres, conséquence de toute déclaration de révision de la Constitution en application de l’article 195 dont le constituant a pris soin d’affirmer qu’il continuait à s’appliquer en dehors des prévisions de la disposition transitoire. Pour le reste, la solution retenue témoigne de l’imagination des auteurs de la réforme de l’Etat. Elle permet, de manière pragmatique, de réaliser une réforme qui était la seule à être politiquement possible, mais qui ne pouvait être mise en œuvre immédiatement en raison mêmes des termes de l’article 195. Le principal avantage de la méthode réside dans le fait qu’il n’a plus été nécessaire de procéder à des révisions implicites pour mettre en œuvre un accord recueillant un large consensus au sein des chambres.
La disposition ‘transitoire’ constitue désormais un modèle auquel il pourra être recouru chaque fois que nécessaire pour autant évidemment que le préconstituant ait eu la prudence d’inscrire l’article 195 dans la déclaration de révision.
Problématique de révision de la Constitution en ‘68 sous le gouv. Vanden Boeynants et de la déclaration de révision sous le gouv. Michel
Les chambres élues en 1965 sont constituantes, mais n’ont pu réviser que deux articles d’importance secondaire. Ne pouvant s’accorder sur le sort de l’UC Louvain, le gouvernement, dirigé par Paul Vanden Boeynants démissionne. Si les chambres ont conservé la plénitude de leurs attributions et peuvent entamer le processus de révision, en est-il de même pour le Roi, dont l’intervention est indispensable? Le Sénat estime que rien n’empêche le Roi de faire une déclaration de révision sous le contreseing d’un ministre démissionnaire. La Chambre, par contre, considère qu’un ministre démissionnaire ne peut donner son contreseing à une déclaration de révision qui porterait sur des nouvelles dispositions constitutionnelles. La compétence du Roi agissant sous le contreseing d’un ministre démissionnaire se limite, à son sens, à procéder à une déclaration reproduisant textuellement celle de 1965. Cette seconde solution est retenue.
Telle sera également la solution retenue par le ministre démissionnaire Charles Michel, en 2019, à la veille des élections. Lors de la publication des déclarations de révision de la Const., les listes adoptées par la Chambre des représentants et par le Sénat sont consistantes. La déclaration du Roi, en revanche, est squelettique et rend impossible la mise en œuvre de réformes importantes envisagées par les deux chambres. Le Roi se borne à reproduire dans sa déclaration les dispositions qui figuraient dans la déclaration de 2014 et qui n’ont pas été modifiées au cours de la législature qui s’achève. Ce gouvernement, alors soutenu que par un tiers de la Chambre a donc pu paralyser la volonté d’une majorité de la Chambre et du Sénat. Charles Michel adopte cette attitude impunément dès lors qu’il est déjà démissionnaire, que sa responsabilité ne peut plus être engagée et que, de surcroît, la législature s’achève.