Leçon 5 Flashcards
(11 cards)
Le contrôle préventif
En Belgique, le contrôle préventif est exercé, en vertu des art. 2 et s. des lois coordonnées sur le Conseil d’État, par la SLCE, dans une moindre mesure, par le comité de concertation, et, pour ce qui concerne les seules consultations populaires régionales, par la CC.
L’avis de la section de législation est selon le cas, obligatoire ou facultatif. Il porte sur les normes prises par les différents législateurs et les règlements adoptés par les organes gouvernementaux. La section de législation n’intervient donc pas dans le processus d’adoption d’une nouvelle norme constitutionnelle. Il n’existe pas, en droit belge, de contrôle préventif de la conformité de la Const. au droit international ayant des effets directs dans l’ordre juridique interne, ni de l’éventuelle contradiction lors de l’adoption d’un nouvel article de la Const. avec ces autres articles. La SLCE ne donne pas non plus d’avis sur les règlements adoptés par les pouvoirs locaux.
La consultation de la section de législation du Conseil d’Etat est obligatoire en ce qui concerne les avant-projets de loi, de décret et d’ordonnance ainsi que les projets d’arrêtés réglementaires.
Les différents organes exécutifs peuvent se soustraire à l’obligation de solliciter l’avis motivé et préalable de la section de législation en invoquant l’urgence, mais sous trois réserves:
- L’urgence doit être spécialement motivée.
- Même s’il y a urgence, l’avis est requis pour les avant-projets de loi, de décret ou d’ordonnance, mais porte alors exclusivement sur la question de savoir si la norme en cause est conforme aux règles de répartition des compétences entre l’autorité fédérale, les régions et les communautés. S’il s’agit d’un avant projet de loi, même s’il y a urgence, l’avis porte sur la question de savoir si le texte relève de la seule Chambre des représentants, du bicaméralisme optionnel ou du bicaméralisme intégral.
- L’urgence ne peut être invoquée en ce qui concerne les projets d’arrêtés de pouvoirs spéciaux, à savoir les arrêtés royaux qui peuvent abroger, compléter, modifier ou remplacer la législation existante.
Au contentieux de l’annulation, la SCACE opère un contrôle particulièrement rigoureux sur la manière dont un gouvernement a spécialement motivé l’urgence pour éluder le contrôle préventif de la section de législation, comme l’a été le cas dans l’affaire Wysocki, où la requérante a réussi à obtenir l’annulation de la décision d’un jury de lui refuser un brevet d’inspecteur dans l’enseignement secondaire. Le CE constate que ce jury a été constitué en exécution d’un arrêté du gouvernement de la Communauté française, et qu’au moment de son adoption, le gouvernement, invoquant l’urgence, avait demandé que l’avis de la SLCE soit rendu dans un délai réduit. Cette urgence a été démentie par le CE et en conséquence, il estime que le jury a été constitué en exécution d’un acte règlementaire irrégulier et qu’il était donc incompétent pour prendre des décisions.
L’absence pure et simple de consultation de la section de législation à propos d’un acte réglementaire est de nature à fragiliser irrémédiablement celui-ci. En effet, en tout temps, les juridictions devant lesquelles son application est invoquée pourront l’écarter sur base de ce simple motif.
En 2001, les rapports entre la SLCE et les gouvernements sont tendus. En effet, la section de législation a rendu un avis très contestable à propos d’un projet de loi relatif au mariage des homosexuels, affirmant que le mariage ne pouvait se concevoir que dans une perspective de procréation et n’était juridiquement concevable qu’entre personnes de sexe différent, et que, dès lors le gouvernement devait abandonner son projet de loi. Cet avis, étant plutôt un point de vue politique qu’un avis juridique, retire un peu de sa crédibilité à la SLCE. La loi a tout de même été adoptée en 2003.
Pour l’essentiel, une autorité peut solliciter l’avis de la section de législation dans un délai de 5j ouvrables, mais dans ce cas, l’avis porte uniquement sur la compétence de l’auteur de l’acte, son fondement juridique et l’accomplissement des formalités. S’il concerne un avant-projet de loi, il porte aussi sur la question de savoir si le texte relève des compétences de la seule Chambre des représentants, du bicaméralisme optionnel ou du bicaméralisme intégral. L’avis peut être demandé dans les 30j. Dans ce cas, la section de législation peut limiter son examen aux questions abordées dans un avis rendu dans les 5j, mais elle peut également donner un avis complet. Enfin, il est également loisible à l’autorité de solliciter un avis dans les 60j. Ce délai est de nature à permettre à la section de législation de donner sur « des projets volumineux et d’une grande complexité technique, dans le délai préalablement connu du demandeur d’avis, un avis dont la valeur qualitative est conforme à ce qu’on est en droit d’attendre de ses avis ». Enfin, pour les seuls actes réglementaires, lorsque la section de législation n’a pas donné son avis dans le délai qui lui est imparti, elle est dessaisie et le processus d’adoption de l’arrêté peut se poursuivre malgré l’absence d’avis. Enfin, la section de législation peut décider de ne pas donner d’avis sur une demande d’avis pendante relative à un projet d’arrêté et assortie d’un délai en application du § 1er, al. 1er de l’art. 84 des lois coordonnées.
L’avis est facultatif en ce qui concerne les propositions de loi, de décret ou d’ordonnance et les amendements à des projets ou à des propositions de loi, de décret ou d’ordonnance. La section de législation est appelée à donner un avis motivé, dans ces cas, lorsqu’elle y est invitée par le Président d’une assemblée soit spontanément, soit lorsqu’il y est contraint par la demande qui lui est faite par 1/3 des membres de son assemblée (mesure de protection des minorités mais permet à cette minorité de paralyser le processus d’adoption et met à mal la démocratie parlementaire). Il en est de même lorsque le Président de la Chambre des représentants, du Sénat, du Parlement de la Région de Bruxelles Capitale ou de l’assemblée réunie de la commission communautaire commune y est contraint par une demande formulée par la majorité des membres d’un groupe linguistique. Enfin, le Président de la Chambre des représentants et le Président du Sénat doivent également saisir la SLCE à la demande de 12 membres au moins de la commission parlementaire de concertation lorsque se pose un conflit de compétence dont la commission est saisie.
En principe, l’avis de la section de législation du CE est dénué de force contraignante. L’autorité qui le sollicite est libre de s’en écarter sans être appelée à motiver sa décision. Il est néanmoins un cas où les avis de la section de législation ont une force contraignante. Lorsqu’un (amendement d’) avant-projet ou une proposition de norme législative est entaché d’excès de compétence, elle renvoie le texte incriminé au comité de concertation. Celui-ci donne, dans les 40j et dans le respect de la procédure du consensus, un avis motivé sur la question de savoir s’il y a excès de compétence. Si tel est le cas, il invite l’organe exécutif concerné à prendre les initiatives permettant de faire disparaître l’excès de compétence. À l’issue de ce délai, la procédure reprend normalement son cours. La section de législation peut donc, en de telles circonstances, paralyser momentanément le processus d’élaboration des normes.
Les avis de la section de législation sont obligatoirement annexés aux projets de lois, de décrets ou d’ordonnances et aux arrêtés royaux de pouvoirs spéciaux lorsque ces textes sont publiés au Moniteur belge. En vertu de l’article 32 de la Constitution et de la loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration, ces avis doivent être communiqués aux intéressés dans les mêmes conditions que les autres actes de l’administration. Depuis le 1er janvier 2017, les avis de la section de législation ainsi que les textes auxquels ils se rapportent sont publiés sur le site web du CE sous forme numérique dans la langue dans laquelle ils ont été donnés. Il est également prévu que « Les avis qui portent sur des avant-projets de loi qui n’ont pas été déposés, sur des amendements à ceux-ci et sur des projets d’arrêtés fédéraux qui n’ont pas été publiés au MB, ainsi que les textes de ces avant-projets, amendements et projets d’arrêtés sont publiés après la dissolution de la Chambre des représentants ». En revanche lorsque ces avis portent sur des avant-projets de décret ou d’ordonnance, sur des amendements à ceux-ci ou sur des projets d’arrêtés régionaux et communautaires qui n’ont pas été publiés, ils ne sont publiés par le CE qu’avec l’accord de la région ou communauté concernée.
Le contrôle par un organe politique
En BE, le comité de concertation - (double parité) de ministres fédéraux et de membres des gouvernements régionaux et communautaires et d’autant de membres francophones que de membres néerlandophones - opère, en principe, un contrôle préventif des règles de répartition de compétences entre l’autorité fédérale, les régions et les communautés. Il est également appelé à intervenir en cas de violation des règles de coopération et de concertation. C’est donc un organe 100% politique, composé de tous les partenaires de la Belgique fédérale et qui prend, en fait, ses décisions à l’unanimité. Dès lors, si les représentants de l’entité dans laquelle la norme litigieuse doit être prise refusent d’admettre l’existence d’une violation d’une règle juridique, cet organe est paralysé et ne peut opérer effectivement le contrôle qui lui est assigné. Cependant, quelle que soit l’option retenue par le comité de concertation, des juridictions peuvent être appelées à se prononcer, par la suite, sur la validité des mêmes normes et, le cas échéant, à disqualifier les décisions prises par cet organe. En pratique, il semble que la SLCE s’abstienne de saisir le comité de concertation en pareilles circonstances, rendant ainsi obsolète la disposition des lois coordonnées sur le Conseil d’État qui le lui impose.
On peut également mentionner la procédure de la sonnette d’alarme culturelle consacré pour les Communauté française et flamande par les articles 4 à 6 de la loi du 3 juillet 1971. Un dispositif analogue est institué pour la Communauté germanophone par les articles 73 à 75 de la loi du 31 décembre 1983. Ces dispositions puisent directement leur fondement dans la Const. (art. 11 et 131, prévoyant que « La loi arrête les mesures en vue de prévenir toute discrimination pour des raisons idéologiques et philosophiques »). Ce mécanisme, qui évoque la procédure de la sonnette d’alarme applicable au sein des chambres fédérales et au sein du Parlement de la Région de Bruxelles Capitale, prévoit qu’une motion motivée, signée par le quart au moins des membres de l’assemblée et introduite après le dépôt du rapport et avant le vote final, peut déclarer que les dispositions d’un projet ou d’une proposition de décret qu’elle désigne, contiennent une discrimination pour des raisons idéologiques et philosophiques. La recevabilité de la motion est examinée par un collège des présidents (Parlements comm. fr. + flamand, Sénat & Chambre des représentants). Si ce collège, qui doit statuer dans les 15j, déclare la motion recevable, l’examen des dispositions incriminées est suspendu et ne peut reprendre que lorsque la Chambre des représentants et le Sénat ont déclaré la motion non fondée. Cette procédure est singulière car elle conduit trois organes politiques - le collège des présidents, la Chambre et le Sénat - à se prononcer sur le respect d’une disposition constitutionnelle (art. 11). Cette règle constitue un résidu d’une logique unitaire, pouvant aboutir sur la paralysie de l’action d’une communauté, et subordonner celle-ci à une intervention du pouvoir fédéral.
Cependant, il s’indique de se demander s’il ne convient pas de repenser le système. Premièrement, il faudrait éviter les confusions entre le « politique » et le « juridique » et distinguer clairement les deux problématiques sans que l’une soit négligée au détriment de l’autre. Deuxièmement, il est nécessaire de garantir le caractère transversal de ce mécanisme qui devrait trouver à s’appliquer à toutes les assemblées parlementaires et à toutes les matières. Autrement dit, une loi fédérale, votée à la majorité ordinaire, pourrait organiser dans chaque Parlement une procédure de sonnette d’alarme idéologique ou philosophique.
Le contrôle par voie d’action
Le contrôle par voie d’action est mis en mouvement soit par une demande introduite par les autorités politiques (assemblées parlementaires, gouvernements, présidents d’assemblées, etc.), soit par des particuliers. L’action est dirigée contre un acte (contentieux objectif) des pouvoirs publics qui, à l’estime du requérant, viole une norme située à un niveau supérieur dans la hiérarchie des normes. Si la juridiction saisie constate l’irrégularité de l’acte, elle prononce son annulation erga omnes. Une telle mission est en principe confiée à des juridictions spécialisées (CC & SCACE).
La CC est compétente pour annuler des normes législatives contraires à certaines dispositions constitutionnelles, voire à des normes inférieures, prises au titre de l’État global, qui organisent la répartition des compétences entre l’autorité fédérale, les régions et les communautés. La SCACE est compétente pour annuler les actes émanant des autorités administratives, à savoir notamment les actes réglementaires et les décisions à caractère individuel qui émanent de toutes les autorités exécutives du pays, des collectivités locales, voire d’autres autorités administratives, comme, par ex., les organismes d’intérêt public.
Le contrôle par voie d’exception
Le contrôle par voie d’exception — ou contrôle diffus — est généralement exercé par des juridictions ordinaires. À l’occasion d’un litige pendant devant celles-ci, une partie invoque l’irrégularité d’une norme qu’on prétend lui appliquer. Si le juge estime que l’exception ainsi soulevée est fondée, il refuse d’en faire application. La déclaration d’invalidité n’a donc qu’une portée relative, la norme ne s’appliquant pas aux parties au procès mais restant dans l’ordre juridique. La décision a donc une autorité relative de la chose jugée. (Marbury c. Madison)
En BE, le contrôle par voie d’exception est consacré par l’art. 159 de la Constitution.
Dans un premier temps, cet article a reçu une interprétation restrictive, fondée sur une conception erronée du principe de la séparation des pouvoirs. Il a été jugé que l’article 159 de la Constitution habilitait seulement le juge à contrôler la légalité externe des actes administratifs, à l’exclusion de leur légalité interne. En conséquence, le juge pouvait vérifier la compétence de l’auteur de l’acte et s’assurer du respect de diverses formalités, mais il lui était interdit d’écarter son application s’il était entaché d’une erreur de fait, d’une erreur de droit ou d’une erreur manifeste d’appréciation.
Aujourd’hui, le juge judiciaire peut ordonner à l’autorité, le cas échéant sous peine d’astreinte, de ne pas exécuter un acte administratif entaché d’illégalité. En effet, le juge ne s’immisce pas dans les pouvoirs de l’exécutif lorsqu’il lui enjoint d’agir dans le respect des normes législatives.
Le principe exprimé par l’article 159 excède, grâce à la jurisprudence, les limites de l’hypothèse visée par le constituant.
Tout d’abord, le contrôle par voie d’exception est pratiqué par toutes les juridictions - en ce compris la Cour constitutionnelle -, et non uniquement par les juridictions de l’ordre judiciaire. La SCACE doit, par ex., écarter l’application d’une norme réglementaire illégale quand bien même il ne s’agit pas de la norme dont l’annulation est poursuivie devant elle.
Ensuite, les juridictions doivent refuser d’appliquer un acte réglementaire s’il est contraire à n’importe quelle norme supérieure. Tel est par ex. le cas d’un règlement pris en violation de la Const. ou d’une norme de DIDA, à la suite de l’arrêt Le Ski. Cette affirmation mérite d’être nuancée car le juge ne peut, en principe, refuser d’appliquer un acte réglementaire au motif qu’il est contraire à la Const. si cette contrariété trouve directement sa raison d’être dans une norme législative que cet acte entend exécuter.
Enfin, l’art. 159 crée une obligation dans le chef du juge, et non dans
celui de l’autorité administrative. L’autorité administrative est donc tenue d’appliquer un règlement illégal, mais est confrontée à un jeu de dupes puisque l’acte qu’elle prend sera annulé par le CE ou verra son application écartée par le juge judiciaire, précisément en raison de son irrégularité. Dans une affaire Claudic, le CE fournit une piste permettant à l’autorité administrative d’échapper à cette situation inextricable.
Si les juridictions peuvent, en tout temps, en application de l’art. 159 de la Const., écarter l’application d’un acte réglementaire s’il est contraire à une norme de droit supérieur, la question de savoir si elles peuvent en faire de même à l’égard d’une décision individuelle est controversée. Le CE estime que la sécurité juridique s’oppose à ce que la régularité d’un acte individuel soit contestée, une fois expiré le délai de recours en annulation devant lui (arrêt Goedseels).
Par contre, la Cour de cassation, faisant primer le principe de légalité, estime que les actes administratifs à portée individuelle peuvent être écartés en tout temps par les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire.
Le législateur a pris position dans ce débat. En effet, il a adopté l’art. 14ter dans les lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, permettant au CE de maintenir la validité de décisions individuelles prises en vertu d’un règlement irrégulier. Or ceci est en totale contradiction avec l’interprétation globalisante que la Cour de cass. réserve à l’art. 159, Const. et au contrôle par voie d’exception. Au regard de cette interprétation, l’art. 14ter violerait, de manière flagrante, l’article 159 de la Constitution. (Arrêt art. 14ter LCCE)
La question du contrôle diffus de la constitutionnalité des lois a fait, en BE, l’objet de vives controverses. De 1849 à 1974 la Cour de cass. affirme qu’il n’appartenait pas au pouvoir judiciaire de contrôler la constitutionnalité des lois. Le 3 mai 1974, la Cour de cass. rend, en la matière, un arrêt de principe (arrêt Le Compte). Elle doit se prononcer sur la validité d’un arrêté royal de pouvoir spéciaux. La Cour constate que la loi de pouvoirs spéciaux trouve son fondement dans la Constitution, et partant respecte celle-ci. Une lecture attentive de cette décision révèle que la Cour affirme que la loi de pouvoirs spéciaux du 31 mars 1967 ne viole pas l’art. 105 de la Const., et par là même opère, certes implicitement, un contrôle de la constitutionnalité de cette norme législative.
La création de la CC met fin à cette controverse. Les juridictions de l’ordre judiciaire ne peuvent, à l’exception des ordonnances prises par le Parlement de la Région de Bruxelles Capitale, opérer un contrôle diffus de constitutionnalité des normes de valeur législative. L’ordonnance bruxelloise peut, quant à elle, voir son application écartée lorsqu’elle est en contradiction avec la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises ou avec n’importe quelle disposition constitutionnelle, à l’exception des normes dont la CC assure le contrôle. Dans cette dernière hypothèse, en effet, le juge saisi doit, avant de refuser l’application de l’ordonnance, interroger la CC. Enfin, s’il arrive qu’une juridiction écarte l’application d’une norme législative qui est contraire à une disposition constitutionnelle dont la CC assure le contrôle, c’est parce que celle-ci, répondant à une question préjudicielle, a affirmé son irrégularité, soit dans le cadre de la procédure en cause, soit à l’occasion d’une autre affaire.
L’effet radical de l’annulation d’une norme peut cependant être nuancé par l’intervention de la juridiction en cause. Tant la CC, pour les normes législatives, que la SCACE, pour les actes règlementaires, peuvent moduler les effets de leurs arrêts, soit nonobstant l’annulation, déterminer dans quelle mesure la norme annulée peut continuer à produire ses effets. Il s’en déduit que ces juridictions peuvent décider de maintenir dans l’ordre juridique les effets, notamment individuels, de normes dont elles ont affirmé l’irrégularité.
Originellement, l’art. 159, Const. avait pour objet de garantir la séparation des pouvoirs. Mieux, il conférait au pouvoir judiciaire le soin de protéger la loi, et partant de réprimer toute tentation du pouvoir exécutif ou d’un pouvoir local de prendre des arrêtés qui soient contraires à l’œuvre du législateur. Telle est la raison pour laquelle il assigne aux juridictions le soin de faire prévaloir la volonté du législateur sur celle du gouvernement, des organes administratifs et des pouvoirs subordonnés. Ni plus, ni moins. Il est donc permis de se demander si, en faisant de l’art. 159 la disposition cardinale du contrôle par voie d’exception à tous les échelons ou presque de la hiérarchie des normes, la jurisprudence n’a pas dénaturé cette disposition, et méconnu les intentions de ses auteurs. Cependant, il n’est pas nécessaire de se reposer sur l’unique art. 159 afin de justifier le contrôle diffus.
En effet, le pouvoir de contrôle du juge lui revient en raison de nombre d’autres dispositions constitutionnelles, tel l’art. 40 qui affirme l’existence du pouvoir judicaire, les art. 144 et 145, l’art. 149 relatif à la motivation des jugements ainsi que les art. 142 et 160 —> devoir de juger, art. 258, CP. Ce devoir implique par définition l’obligation de faire respecter la hiérarchie des normes, laquelle se déduit notamment de l’art. 33, al. 2, Const., de l’art. 36, des art. 105 et 108 et de l’art. 162. Il faut, enfin, mentionner l’art. 34, dont certains déduisent la primauté du droit international ayant des effets directs dans l’ordre juridique interne sur l’ensemble du droit interne. L’ensemble de ces dispositions consacre l’existence d’un principe général de droit, à savoir l’obligation faite au juge de garantir le respect de la hiérarchie des normes. Un parallèle peut aisément être établi avec l’enseignement de l’arrêt Marbury vs Madison selon lequel le juge a le devoir de faire respecter la Constitution.
Dès lors que le législateur et le constituant ont créé un contentieux qui permet à une juridiction administrative, le Conseil d’Etat, d’annuler les décisions individuelles irrégulières, il est raisonnable de considérer que, si celle-ci refuse de censurer une décision ou n’a pas été saisie d’un recours dans le délai légal contre cette décision, la sécurité juridique exige qu’elle ne puisse plus être remise en cause par la suite. Autrement dit, la jurisprudence du Conseil d’Etat en la matière, laquelle a été confortée par le législateur lorsqu’il a adopté l’art. 14ter des lois coordonnées et par la CC, dans son arrêt n°18/2012 du 9 février 2012, mérite d’être approuvée.
Synthèse sur le contrôle de constitutionnalité
L’exposé du contrôle de la hiérarchie des normes par voie d’exception témoigne de la multiplicité des techniques mises en œuvre afin de contrôler le respect de la hiérarchie des normes. Or, envisagés dans leur ensemble, ces divers procédés de contrôle manquent de cohérence. Tout d’abord, la jurisprudence de la Cour de cassation et la création de la CC ont permis de faire entrer les normes législatives dans le champ des normes soumises à contrôle. Ceci rend plus contestable encore le fait qu’un législateur puisse impunément méconnaître une disposition de droit supérieur qui ne fait pas partie de celles dont la CC garantit le respect. Ensuite, il est peu cohérent d’instituer une juridiction spécialisée - la CC - qui dispose du monopole du contrôle de la constitutionnalité de la norme législative et, parallèlement, ne pas lui permettre de contrôler la conformité des normes de droit interne - en ce compris la Const. – à toutes les dispositions de droit international qui ont des effets directs dans l’ordre juridique interne. La situation du juge ordinaire n’est pas moins inconfortable. Il peut renoncer à appliquer une loi si elle méconnaît une disposition de DIDA dans l’ordre juridique interne, mais il ne peut, par contre, en contrôler directement la conformité par rapport à la Constitution. Tout au plus peut-il, dans cette dernière hypothèse, interroger la CC à titre préjudiciel si la norme constitutionnelle concernée fait partie de celles dont la Cour assure le respect. Ces déficiences, heureusement, sont, en partie, comblées par l’interprétation extensive que la CC a donnée de ses propres compétences.
Cass., 13 avril 1989, Debled c. Ordre des médecins - avis SLCE
Le docteur Debled est sanctionné par l’Ordre des médecins parce qu’il pratiquait des honoraires excessifs. L’intéressé conteste cette sanction parce que la procédure mise en œuvre à son encontre se fonde sur des arrêtés qu’il estime irréguliers. Il indique, en effet, que ces arrêtés royaux ont été délibérés en conseil des ministres avant que soit communiqué à celui-ci l’avis de la SLCE.
La Cour de cassation va cependant rejeter le pourvoi du docteur Debled en estimant que « l’existence de ces deux avis (celui de la SLCE et des ministres qui délibèrent en conseil) est la seule condition formelle fixée par la loi qui n’indique pas l’ordre dans lequel ils doivent être donnés ».
Cet arrêt est contestable. En toute logique, la consultation de la section de législation doit intervenir avant que le texte définitif de l’arrêté soit délibéré au sein de l’organe exécutif. Il s’agit là d’une condition essentielle à l’effet utile de l’obligation de consultation de la section de législation.
Cour suprême des États-Unis, Marbury v. Madison
Aux États-Unis, au Canada et en Australie, toutes les juridictions sont habilitées à contrôler, par voie d’exception, la constitutionnalité des lois. Ce principe a été fixé aux États-Unis à l’occasion de l’arrêt Marbury vs. Madison (1803). Le deuxième Président des États-Unis John Adams avait procédé dans les heures qui précédaient son remplacement par Thomas Jefferson à diverses nominations. Il avait notamment désigné William Marbury en qualité de juge de paix. Il appartenait au Secrétaire d’État de notifier cette décision au bénéficiaire de la nomination. Compte tenu du manque de temps dont il disposait, le Secrétaire d’État de John Adams, John Marshall, n’eut pas matériellement la possibilité de notifier sa nomination à William Marbury. Le nouveau secrétaire d’État, James Madison, décida de ne pas notifier cette décision à l’intéressé. William Marbury saisit la Cour Suprême, présidée désormais par John Marshall, afin qu’il soit donné injonction à James Madison de notifier la décision en cause. Son action était fondée sur le Judiciary Act qui fondait la compétence de la Cour Suprême pour connaître, en premier et dernier ressort, d’un tel recours. La Cour Suprême, cependant, écarta l’application du Judiciary Act au motif qu’il entrait en contradiction avec une disposition constitutionnelle qui, pour des nominations à ce niveau de pouvoir, conférait à la Cour Suprême un pouvoir d’appel contre la décision prise par une juridiction de premier degré, mais qui ne lui accordait pas le droit de connaître directement du litige.
Le Président de la Cour Suprême, le juge John Marshall souligne, à cette occasion, avec force que « l’on ne peut présumer qu’il se trouve dans la Constitution des clauses qui soient sans effet ». Il pose deux principes fondamentaux. Tout d’abord, la supériorité de la Constitution sur la loi n’est pas qu’une considération théorique, mais doit être mise en pratique, avec pour conséquence la nullité des actes qui lui sont contraires. Ensuite, il appartient au pouvoir judiciaire d’interpréter la Constitution, et donc d’apprécier la conformité des lois. Il est donc clairement affirmé que le contrôle de constitutionnalité - le judicial review - est une conséquence du pouvoir de juger. Le juge - qu’il s’agisse de la Cour Suprême ou des juridictions des différents États - n’a pas simplement le pouvoir de contrôler la constitutionnalité des lois, il en a le devoir. À cette fin, il doit assurer le respect de la hiérarchie des normes qu’elles soient fédérales ou étatiques. Ce contrôle s’opère par voie d’exception. Il peut cependant avoir les mêmes effets qu’un contrôle par voie d’action puisque la règle du précédent - le stare decisis - veut que les tribunaux se conforment aux solutions précédemment dégagées par des juridictions supérieures. Il suffit donc que la Cour Suprême déclare une loi inconstitutionnelle pour qu’aucune juridiction ne puisse plus en faire application. La Cour Suprême, cependant, ne s’estime pas liée par ses propres précédents. Ainsi par exemple, dans son arrêt Roe vs Wade du 22 janvier 1973, rendu à la majorité de sept voix contre deux, la Cour suprême avait consacré le droit à l’avortement. Dans son arrêt du 24 juin 2022, six voix contre trois, elle revient radicalement sur cette position et affirme que le droit à l’avortement est étranger à la tradition juridique de la Common law et porte avant tout atteinte à la vie de « l’enfant à naître ».
CE n°185.266 du 9 juillet 2008, Claudic
En l’espèce, l’État belge, représenté par le ministre des Finances, n’avait pas nommé la requérante en qualité de concierge. Il avait, à cette occasion, refusé de faire application d’une instruction administrative – un règlement d’ordre intérieur – organisant la procédure de recrutement des concierges qui avait été déclarée irrégulière, en la même cause, par un arrêt antérieur de la haute juridiction administrative. La requérante estimait que « la partie adverse, en tant qu’autorité administrative, ne pouvait, sur la base de l’article 159 de la Constitution et du principe général du parallélisme des procédures et des compétences, refuser l’application de cette instruction, quand bien même celle-ci paraîtrait illégale ». Le CE refuse de censurer la décision attaquée en décidant que « la requérante n’a pas intérêt au moyen dès lors que l’instruction ministérielle du 10 août 1976 fixant le règlement d’ordre intérieur des concierges est un acte règlementaire irrégulièrement adopté ». Les circonstances dans lesquelles l’arrêt Claudic a été rendu étaient évidemment particulières. En effet, la partie adverse était l’auteur du règlement litigieux et son irrégularité avait non seulement été préalablement constatée par le Conseil d’État, mais l’avait été dans le cadre de la même affaire. Il n’en demeure pas moins que la piste ainsi indiquée par la haute juridiction administrative paraît satisfaisante en toutes circonstances.
CE n°234.035 du 4 mars 2016, Goedseels
« Le Conseil d’État juge, de manière générale (…) qu’un acte administratif individuel, comme celui qui est ici attaqué, devient définitif s’il n’a pas fait l’objet d’un recours en annulation devant lui dans le délai de soixante jours prévu par le règlement général de procédure. En dehors de ce délai, la légalité de cet acte ne peut pas être contestée devant le juge administratif, même par la voie incidente, en application de l’art. 159 de la Const., l’objectif étant de préserver la sécurité et la stabilité des relations juridiques ».
CC 18/2012 du 9 février 2012, art. 14ter LCCE
La CC, interrogée sur cette question à titre préjudiciel, a considéré, tout d’abord, que « l’art. 160, Const. consacre l’existence du CE. Il attribue au législateur le pouvoir de déterminer ses compétences et son mode de fonctionnement. Dans la mesure où le Constituant a entendu, de la sorte, consacrer le contrôle objectif de la légalité des actes
administratifs, le contrôle juridictionnel de légalité, prévu à l’art. 159, Const., doit raisonnablement tenir compte de l’effet utile des arrêts d’annulation du CE et des modalités dont ils peuvent être assortis ». Ensuite, elle indique que l’article 159, Const. doit être interprété en tenant compte du principe de sécurité juridique. Il s’ensuit, à son estime, que « si l’art. 159 ne prévoit, explicitement, aucune restriction au mode de contrôle de légalité qu’il consacre, une telle restriction se justifie néanmoins si elle est nécessaire pour assurer le respect d’autres dispositions constitutionnelles ou de droits fondamentaux. Tenu de garantir notamment le principe de sécurité juridique, le législateur se doit de régler le mode de contrôle de l’action administrative, ce qui peut exiger des restrictions au contrôle juridictionnel incident de la légalité des actes règlementaires, pour autant que ces restrictions soient proportionnées au but légitime poursuivi ». En se fondant sur l’article 160 de la Constitution, la CC fait primer ici les termes de l’art. 14ter des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat sur ceux de l’art. 159. Cette thèse audacieuse et qui malmène quelque peu la hiérarchie des normes se justifie, à son sens, par le principe de sécurité juridique.
Cass., 3 mai 1974, Le Compte
Un médecin, le docteur Le Compte, s’est vu infliger une sanction disciplinaire de la part du conseil d’appel d’expression néerlandaise de l’ordre des médecins. Il se pourvoit en cassation contre cette décision. Dans un moyen, il soutient que le Roi, en abrogeant par un arrêté, pris en vertu d’une loi de pouvoirs spéciaux, la loi du 25 juillet 1938 créant l’ordre des médecins, viole non seulement cette loi, mais également l’article 108 de la Constitution aux termes duquel le Roi « fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois sans pouvoir jamais ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution ». L’arrêté royal n°79 du 10
novembre 1967 dispose, en son article 32 alinéa 1er : « Le Roi fixe la date de l’abrogation de la loi du 25 juillet 1938 créant l’ordre des médecins et celle de l’entrée en vigueur du présent arrêté ». Conformément à cette disposition, est pris l’arrêté royal du 25 mars 1969 qui fixe au 1er avril 1969 l’abrogation de la loi de 1938 et l’entrée en vigueur de l’arrêté royal n°79, lequel a été appliqué au docteur Le Compte et a fondé la sanction disciplinaire contestée.